Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/234

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à obtenir. Après avoir observé les ennemis quelques jours, il résolut de se poster entre Alexandrie et Valence pour leur empêcher le passage du Taner[1], ou les réduire à un combat. Ce passage étoit le seul par lequel ils pussent pénétrer. Ne le point tenter, c’étoit abandonner le secours de Turin ; le vouloir forcer, c’étoit s’exposer à un combat si désavantageux qu’il y avoit une espèce d’évidence qu’ils n’y pourroient jamais réussir.

Le prince le proposa au maréchal et ne le put persuader. D’en donner la raison, c’est à quoi il ne faut pas prétendre, puisque Marsin n’en allégua pas même d’apparente. Il étoit maîtrisé par La Feuillade qui désiroit ardemment de se voir rapproché par l’armée. Marsin ne songeoit qu’à satisfaire le gendre du tout-puissant ministre et à lui plaire. Tous deux ne voyoient pas qu’empêcher le secours de Turin, c’étoit tout faire, même pour le succès personnel de ce gendre fatal.

Tandis que le prince et le maréchal en étoient sur cette dispute, un courrier du prince Eugène à l’empereur fut enlevé par un de nos partis, et ses dépêches étoient en chiffres, comme on peut bien le juger. Le prince eut beau feuilleter les siens, il n’en trouva point de semblables. Marsin, venu de Flandre par l’Alsace et la Suisse, n’avoit garde d’en avoir. On envoya à Vaudemont qui manda n’avoir point ce chiffre. Il fallut donc dépêcher un courrier au roi qui se trouva l’avoir oublié au fond d’une cassette. Le courrier le rapporta, mais quand ? Le soir même de la bataille de Turin. Les dépêches déchiffrées à Versailles et rapportées avec le chiffre du roi contenoient un grand raisonnement du prince Eugène à l’empereur, précisément le même que celui que M. le duc d’Orléans avoit fait à Marsin. Il se terminoit à déclarer que si ce prince se postoit où il l’avoit si opiniâtrement proposé à Marsin, il étoit extravagant, c’étoit le terme de la lettre,

  1. Le Tanaro, affluent du Pô.