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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/247

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partager pas sa conquête avec M. le duc d’Orléans, et la crainte de Marsin, subjugué par le gendre, de déplaire au beau-père ; enfin, pour dernier coup, la lâcheté si punissable de ce refus de secours à Le Guerchois et à sa brigade, qui fut le dernier assommoir qui détermina la victoire d’une part, le désordre et la fuite de l’autre ; voilà la chaîne de tant d’incroyables miracles pour la délivrance de Turin.

Après, pour la retraite : la révolte, l’intérêt lâche et pécuniaire des officiers généraux ; la supposition de d’Arennes ou de son officier ; l’envoi clandestin des vivres et des munitions par les Alpes, pour rendre toute autre retraite impossible ; un concert continuel de mauvaise foi, de désobéissance, pour ne pas dire de trahison ; ce sont d’autres miracles qui sauvèrent l’Italie, Turin dans les suites, et l’armée victorieuse qui seroit périe avec la place faute d’issue, de vivres et de secours. À tout cela, qui peut méconnoître la main de Dieu toute-puissante, mais qui peut douter du crime de ceux de nos François qui en ont été les agents ?

Marsin, gagnant cette cassine éloignée où il fut conduit, demanda une seule fois si M. le duc d’Orléans étoit tué. Arrivé là avec un aide de camp et deux ou trois domestiques, il envoya chercher un confesseur, dicta quelque chose sur ses affaires, mit dans un paquet pour M. le duc d’Orléans la lettre que ce prince avoit écrite au roi contre lui, et qu’il lui avoit lue et confiée pour l’envoyer lui-même, ne voulut plus ouïr parler que de Dieu, et mourut dans la nuit. On trouva parmi ses papiers des misères innombrables, et un amas de vœux plus que surprenants, un désordre immense dans ses affaires, et des dettes que six fois plus de bien qu’il n’en avoit n’eût jamais payées.

C’étoit un extrêmement petit homme, grand parleur, plus grand courtisan, ou plutôt grand valet, tout occupé de sa fortune, sans toutefois être malhonnête homme, dévot à la flamande, plutôt bas et complimenteur à l’excès que poli, cultivant