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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/30

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elle avoit besoin pour se bien acquitter de ce dont elle alloit s’y trouver chargée, qu’il y fût public qu’elle n’y entreprenoit rien que par mission, et que plus cette mission étoit importante, plus ce besoin devenoit pressant pour le service du roi et pour la mettre en état de le faire obéir. L’éloquence, l’adresse, le tour, les grâces, la finesse de l’expression, l’attention à l’effet des paroles, l’air dont elles étoient reçues, tout fut bien déployé et bien remarqué sous les voiles de la simplicité, de la nécessité, du naturel ; l’effet aussi en passa les espérances. Ce fut à Marly, dans un tiers de plus de deux heures entre le roi et Mme de Maintenon, le 15 juin. Mme des Ursins y prit congé plus que contente. Elle crut ne devoir pas prolonger ; mais, en femme aussi habile qu’elle l’étoit, elle demanda la permission de voir le roi encore une fois à son retour à Versailles. C’est que, les mettant à leur aise par le congé qu’elle en prenoit, elle ne vouloit pourtant pas partir que les grâces qu’elle venoit d’obtenir ne fussent, les unes expédiées et consommées, les autres acheminées aussi certainement qu’elles le pouvoient être ; de façon qu’elle tint bon sous différents prétextes à ne point partir que tout cela fût fait, à Versailles, où elle fut encore longtemps enfermée avec le roi et Mme de Maintenon, et où elle acheva de dire tous les adieux et de prendre ses congés. Elle obtint encore de revoir le roi une fois à Marly, ce fut la dernière, et elle partit enfin à la mi juillet.

Les grâces qu’elle obtint furent prodigieuses : vingt mille livres de pension du roi et trente mille livres pour son voyage. Son frère, bien qu’aveugle depuis l’âge de dix-huit ou vingt ans, fut fait duc héréditaire, et le roi consentit à la promotion du duc de Saxe-Zeitz, évêque de Javarin, à condition qu’en même temps que lui son autre frère fût fait cardinal, pour les deux couronnes, qui, en sa faveur, se désistèrent du droit d’avoir chacune un cardinal en compensation de celui de l’empereur. Pour bien entendre jusqu’à quel point ces grâces étoient prodigieuses, il faut faire connoître