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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/369

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sieur de Boisguilbert, lieutenant général au siège de Rouen, homme de beaucoup d’esprit, de détail et de travail, frère d’un conseiller au parlement de Normandie, qui, de longue main, touché des mêmes vues que Vauban, y travailloit aussi depuis longtemps. Il y avoit déjà fait du progrès avant que le chancelier eût quitté les finances. Il vint exprès le trouver, et, comme son esprit vif avoit du singulier, il lui demanda de l’écouter avec patience, et tout de suite lui dit que d’abord il le prendroit pour un fou, qu’ensuite il verroit qu’il méritoit attention, et qu’à la fin il demeureroit content de son système. Pontchartrain, rebuté de tant de donneurs d’avis qui lui avoient passé par les mains, et qui étoit tout salpêtre, se mit à rire, lui répondit brusquement qu’il s’en tenoit au premier et lui tourna le dos. Boisguilbert, revenu à Rouen, ne se rebuta point du mauvais succès de son voyage. Il n’en travailla que plus infatigablement à son projet, qui étoit à peu près le même que celui de Vauban, sans se connoître l’un l’autre. De ce travail naquit un livre savant et profond sur la matière, dont le système alloit à une répartition exacte, à soulager le peuple de tous les frais qu’il supportoit et de beaucoup d’impôts, qui faisoit entrer les levées directement dans la bourse du roi, et conséquemment ruineux à l’existence des traitants, à la puissance des intendants, au souverain domaine des ministres des finances. Aussi déplut-il à tous ceux-là, autant qu’il fut applaudi de tous ceux qui n’avoient pas les mêmes intérêts. Chamillart, qui avoit succédé à Pontchartrain, examina ce livre. Il en conçut de l’estime, il manda Boisguilbert deux ou trois fois à l’Étang, et y travailla avec lui à plusieurs reprises, en ministre dont la probité ne cherche que le bien.

En même temps, Vauban, toujours appliqué à son ouvrage, vit celui-ci avec attention, et quelques autres du même auteur qui le suivirent ; de là il voulut entretenir Boisguilbert. Peu attaché aux siens, mais ardent pour le