Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/41

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silence ; mais les armées ne le gardèrent pas ; on n’ouït jamais tant crier contre personne ; et quelque effronté qu’il frit, il n’osoit plus paroître devant les troupes. Le roi en fut très bien informé et résolut de ne s’en servir jamais. Nous verrons bientôt qu’il avoit une femme qui toute sa vie l’a bien servi, mais qui à la vérité y étoit plus que doublement obligée. Les derniers jours de juillet, n’y ayant que la Dyle entre le maréchal de Villeroy et les ennemis, ils tentèrent de la passer. Un gros détachement s’étoit déjà emparé de deux villages en deçà, lorsque l’électeur et le maréchal s’en aperçurent et le firent rechasser au delà fort loin et fort heureusement. Huy, que Gacé avoit pris, fut repris par les ennemis. Artagnan prit Diest tout à la fin de la campagne, et les ennemis Lave et Saint-Wliet, que le comte de Noyelles fit raser. Les garnisons de ces trois places furent respectivement prisonnières de guerre : ainsi finit la campagne en Flandre, et les armées se séparèrent tout à la fin d’octobre.

Je ne puis quitter la Flandre sans rapporter un trait plaisant de la malignité de M. de Lauzun. On a vu en son temps qu’il ne s’étoit marié que pour essayer de se rapprocher de l’ancienne confiance du roi et entrer avec lui dans ce qui regardoit l’Allemagne, où M. le maréchal de Lorges commandoit les armées ; qu’ayant trouvé tout fermé de ce côté par un ordre secret au maréchal, il se brouilla avec lui d’une manière éclatante ; que la même espérance de rentrer dans quelque chose lui avoit fait presser et terminer le mariage du duc de Lorges avec la fille de Chamillart, pour tâcher de s’introduire à l’appui de ce ministre ; à bout de voie là-dessus, il imagina, se portant à merveille, de faire le dolent et de demander la permission d’aller aux eaux d’Aix-la-Chapelle. Il ne persuada à personne qu’il en eût besoin, mais aux sots qui, ignorant tout, veulent être pénétrants, et de ceux-là il y en a beaucoup, que ce voyage étoit mystérieux. Il l’étoit en effet, mais non comme ils le pensèrent. Ce n’étoit pas les eaux qu’il alloit chercher, mais, sous ce