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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/412

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fondements d’une estime et d’une amitié qui ne s’est depuis jamais démentie.

Ce n’est pas qu’ils fussent tous deux souvent de même avis. Le prince étoit entreprenant et quelquefois hasardeux, persuadé qu’un attachement excessif à toutes les précautions arrache des mains beaucoup d’occasions glorieuses et utiles ; le maréchal, au contraire, intrépide de cœur, mais timide d’esprit, accumuloit toutes les précautions et les ressources, et en trouvoit rarement assez. Ce n’étoit pas pour s’accorder. Mais le prince avoit le commandement effectif, et le maréchal une probité si exacte que, content d’avoir contredit et disputé de toutes ses raisons et de toute sa force un avis qui passoit malgré lui, il concouroit à le faire réussir, non seulement sans envie, mais avec chaleur et volonté, jusqu’à chercher des expédients nouveaux pour remédier aux inconvénients imprévus, et à mettre tout du sien, comme s’il eût été l’auteur du conseil qui s’exécutoit nonobstant toute l’opposition qu’il y avoit faite.

C’est le témoignage que M. le duc d’Orléans m’a rendu de lui plus d’une fois, et bien rare d’un homme nouvellement orné d’une grande victoire, et naturellement opiniâtre et attaché à son sens. Mais, comme ce prince me l’a souvent dépeint, il étoit doux, sûr, fidèle, voulant surtout le bien de la chose, sans difficulté à vivre, vigilant, actif, et se donnant, mais quand il étoit à propos, des peines infinies. Aussi M. le duc d’Orléans m’a-t-il dit souvent que, encore que leurs génies se trouvassent souvent opposés à la guerre, Berwick étoit un des hommes qu’il eût jamais connus avec qui il aimeroit mieux la faire ; grande louange, à mon avis, pour tous les deux.

J’avois un chiffre particulier que M. le duc d’Orléans m’avoit donné en partant, et lui et moi, nous chiffrions et déchiffrions nous-mêmes, et ne nous écrivions en chiffre que par des courriers. Je lui proposai de cueillir au moins de grands fruits de cette grande défaite, et le dessein de