Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/434

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lettre de cette nature, et pour Mme de Maintenon de ne l’avoir pas brûlée sur-le-champ, ou du moins enfermée. La pauvre princesse pensa s’évanouir et devint de toutes les couleurs. Mme de Maintenon lui fit une forte vesperie[1], lui fit voir que ce qu’elle croyoit caché étoit vu par toute la cour, et lui en fit sentir les conséquences. Sans doute qu’elle lui en dit bien davantage, mais Mme de Maintenon lui avoua que lorsqu’elle lui avoit parlé plusieurs fois, c’étoit par science, et qu’il étoit vrai que Mme d’Espinoy et d’autres encore étoient chargées par elle de suivre secrètement sa conduite, et de lui en rendre un compte exact et fréquent.

Au partir d’un lieu si fâcheux, la princesse n’eut rien de plus pressé que de gagner son cabinet, et que d’y appeler Mme de Nogaret qu’elle appeloit toujours sa petite bonne et son puits, et de lui conter toute sa déconvenue, fondant en larmes, et dans la furie contre Mme d’Espinoy qu’il est aisé d’imaginer. Mme de Nogaret la laissa s’exhaler, puis lui remontra ce qu’elle jugeoit à propos sur le fond de la lettre, mais surtout elle lui conseilla très fortement de se garder sur toutes choses de rien marquer sur Mme d’Espinoy, et lui représenta qu’elle se perdroit si elle lui témoignoit moins de familiarité et de considération qu’à l’ordinaire. Le conseil étoit infiniment salutaire, mais difficile à pratiquer. Cependant Mme la duchesse de Bourgogne, qui avoit confiance en l’esprit et en la science du monde et de la cour de Mme de Nogaret, en quoi elle avoit grande raison, la crut, et se conduisit toujours avec Mme d’Espinoy de même qu’auparavant, en sorte qu’elle n’a jamais pu être soupçonnée d’en avoir été découverte. Le lendemain Mme de Nogaret, avec qui nous étions intimement Mme de Saint-Simon et moi, nous le conta à tous deux précisément comme je viens de l’écrire.

Ce trait honteux et affreux, surtout pour une personne de

  1. Réprimande.