Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/7

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mois dans l’empire, qui s’en alloit à Vienne servir l’empereur, dont elle fut quitte pour faire la pleureuse à Mme de Maintenon ; point de filles, il ne lui restoit qu’un fils qui étoit l’aîné. Plusieurs coups de tête reçus par accident lui avoient fait essuyer trois ou quatre trépans, et ces trépans l’avoient rendu fort sourd. Elle ne l’aimoit point, et tant qu’elle avoit eu d’autres enfants, elle l’avoit forcé tout dévotement au petit collet, et en vouloit faire un riche seigneur dans l’Église ; elle avoit même commencé. Sa répugnance prit des forces se voyant devenu unique ; elle songea donc à le marier, mais son mari ni elle ne vouloient rien donner. Elle chercha vainement ; enfin elle se rabattit à ce qu’elle trouva sous sa main. Elle étoit fort à Sceaux chez Mme du Maine, à qui toute compagnie étoit bonne, pourvu qu’on fût abandonné à ses fêtes, à ses nuits blanches [1], à ses comédies et à toutes ses fantaisies. Il s’y étoit fourré, sur le pied de petite complaisante, bien honorée d’y être comme que ce fût soufferte, une Mlle de Montjeu, jaune, noire, laide en perfection, de l’esprit comme un diable, du tempérament comme vingt, dont elle usa bien dans la suite, et riche en héritière de financier. Son père s’appeloit Castille, comme un chien citron, dont le père qui étoit aussi dans les finances, avoit pris le nom de Jeannin pour décorer le sien, en l’y joignant de sa mère, fille du célèbre M. Jeannin,

  1. Les nuits blanches de Sceaux étoient célèbres. Mlle de Launay (Mme de Staal), qui y avoit joué un rôle important, en raconte ainsi l’origine dans ses Mémoires : « Mme la duchesse du Maine, qui aimoit à veiller, passoit souvent toute la nuit à faire différentes parties de jeu. L’abbé de Vaubrun, un de ses courtisans les plus empressés à lui plaire, imagina qu’il falloit, pendant une des nuits destinées à la veille, faire paroître quelqu’un sous la forme de la Nuit enveloppée de ses crêpes, qui feroit un remerciement à la princesse de la préférence qu’elle lui accordoit sur le Jour ; que la déesse auroit un suivant qui chanteroit un bel air sur le même sujet. L’abbé me confia ce secret, et m’engagea à composer et à prononcer la harangue, représentant la divinité nocturne. La surprise fit tout le mérite de ce petit divertissement…. L’idée en fut applaudie ; et de là vinrent les fêtes magnifiques données la nuit par différentes personnes à Mme la duchesse du Maine.