Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/208

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

acquis toute la confiance du roi par son inexorable exactitude, par la netteté, de ses mains, par son aptitude singulière en ce genre de service. Avec tout l’extérieur d’un méchant homme, il n’étoit rien moins, mais serviable sans vouloir qu’on le sût, et a souvent paré bien des choses fâcheuses, mais tout cela avec des manières dures et désagréables. Il avoit de la valeur, mais ses fonctions qui l’attachoient auprès du roi ne le laissoient jamais sortir de la cour, où il devint lieutenant général et gouverneur de Guise. Le roi, parlant un jour de service des majors dans les troupes, qui pour être bons majors les en faisoit haïr : « S’il faut être parfaitement haï pour être bon major, répondit M. de Duras, qui avoit le bâton derrière le roi, voilà, sire, le meilleur qui soit en France, » tirant Brissac par le bras qui en fut confondu ; et le roi à rire, qui l’eût trouvé fort mauvais de tout autre, mais M. de Duras s’étoit mis sur un tel pied de liberté qu’il ne se contraignoit sur rien ni sur personne devant le roi, ce qui le faisoit fort redouter, et il en disoit souvent de fort salées. Ce major avoit une santé très robuste, et se moquoit toujours des médecins, et très souvent de Fagon en face devant le roi, que personne autre n’eût osé attaquer. Fagon payoit de mépris, souvent de colère, et avec tout son esprit en étoit embarrassé. Ces courtes scènes étoient quelquefois très plaisantes.

Brissac, peu d’années avant sa retraite, fit un étrange tour aux dames. C’étoit un homme droit qui ne pouvoit souffrir le faux. Il voyoit avec impatience toutes les tribunes bordées de dames l’hiver au salut les jeudis et les dimanches où le roi ne manquoit guère d’assister, et presque aucune ne s’y trouvoit quand on savoit de bonne heure qu’il n’y viendroit pas ; et sous prétexte de lire dans leurs heures, elles avoient toutes de petites bougies devant elles pour les faire connoître et remarquer. Un soir que le roi devoit aller au salut, et qu’on faisoit à la chapelle la prière de tous les soirs qui étoit suivie du salut, quand il y en avoit, tous les