Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/227

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arrivé. Que le feu et l’eau n’étoient pas plus différents, ni plus incompatibles, que l’étoient Mgr le duc de Bourgogne et M. de Vendôme, l’un dévot, timide, mesuré à l’excès, renfermé, raisonnant, pesant et compassant toutes choses, vif, néanmoins, et absolu, mais avec tout son esprit, simple, retenu, considéré, craignant le mal, et de former des soupçons, se reposant sur le vrai et le bon, connoissant peu ceux à qui il avoit affaire, quelquefois incertain, ordinairement distrait et trop porté aux minuties ; l’autre, au contraire, hardi, audacieux, avantageux, impudent, méprisant tout, abondant en son sens avec une confiance dont nulle expérience ne l’avoit pu déprendre, incapable de contrainte, de retenue, de respect, surtout de joug, orgueilleux au comble en toutes les sortes de genres, âcre et intraitable à la dispute, et hors d’espérance de pouvoir être ramené sur rien ; accoutumé à régner, ennemi jusqu’à l’injure de toute espèce de contradiction, toujours singulier dans ses avis, et fort souvent étrange, impatient à l’excès de plus grand que lui, d’une débauche également honteuse et abominable, également continuelle et publique, dont même il ne se cachoit pas par audace ; ne doutant de rien, fier du goût du roi si déclaré pour lui et pour sa naissance, et de la puissante cabale qui l’appuie, fécond en artifices avec beaucoup d’esprit, et sachant bien à qui il a affaire, tous moyens bons, sans vérité, ni honneur, ni probité quelconque, avec un front d’airain qui ose tout, qui entreprend tout, qui soutient tout, à qui l’expérience de l’état où il s’est élevé par cette voie confirme qu’il peut tout, et que pour lui il n’est rien qui soit à craindre. Que cette ébauche de portrait de ces deux hommes étoit incontestable, et sautoit aux yeux de quiconque avoit un peu examiné l’un et l’autre par leur conduite, et par les occasions qu’ils ont eues de se montrer tels qu’ils sont. Que cela étant ainsi, il étoit impossible qu’ils ne se brouillassent, et bientôt ; que les affaires n’en souffrissent, que les événements ne se rejetassent de l’un sur l’autre, que l’armée