Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/256

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lui donnant cette satisfaction apparente. L’aîné mourut longtemps avant le cadet. Jamais gens ne surent mettre à si grand profit une mort civile, l’honneur d’un duel, et cette tacite protection du roi qui, en effet, en tout son règne a été une distinction unique, ni vivre si largement de procès et de petites tyrannies. Ni l’un ni l’autre ne furent mariés, et ce dernier étoit vieux.

Il mourut peu de jours après un autre homme extraordinaire. On l’appeloit le chevalier de Montgivrault. M. de Louvois l’avoit scandaleusement chassé du service, où il étoit ingénieur dans la première guerre de Flandre en 1667, où il avoit acquis beaucoup de bien. Malgré cette aventure et une réputation peu nette, il sut devenir une espèce d’important à force d’esprit, de galanterie, de commodité pour autrui et d’excellente chère. Il se fit ainsi beaucoup d’amis considérables à la cour et à la ville. Le maréchal de Tessé, le duc de Tresmes, Caumartin, Argenson entre autres étoient ses intimes. Il avoit acquis par là de la considération, et il avoit eu l’art de s’ériger chez lui un petit tribunal où beaucoup de gens étoient fort aises d’être reçus. Il avoit acheté Courcelles auprès du Mans, qui a été depuis la retraite de Chamillart qui l’acheta, où Montgivrault dépensa beaucoup, et où j’ai admiré sa folie d’avoir mis ses armes jusque sur toutes les portes, les cheminées et les plafonds. Il n’avoit jamais été marié et laissa un gros bien.

Son frère, qui faisoit fort peu de cas de lui, s’appeloit Le Haquois, et ne s’étoit point marié non plus. Il étoit son aîné et étoit demeuré fort pauvre. Il avoit été avocat général de la cour des aides, avec une grande réputation d’éloquence, de savoir et de probité. C’étoit un homme parfaitement modeste et parfaitement désintéressé. On ne pouvoit avoir plus d’esprit, un tour plus fin, ni en même temps plus aisé, avec beaucoup de grâce et de réserve ; avec cela salé, volontiers caustique, gai, plaisant, plein de saillies et de reparties, éloquent jusque par son silence. Ses lettres étoient