Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/285

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attaqué, de ces deux côtés. Il fit ce qu’il put pour s’attirer une visite de M. de Chartres qui étoit à Chartres, à dix lieues de la Ferté. N’ayant pu l’obtenir, il se borna à un rendez-vous quelque part comme fortuit, il n’y réussit point encore. Il vouloit engager ce prélat à faire revoir par le roi l’important procès qu’il venoit de perdre et qui l’avoit si fort piqué, pour de là l’embarquer. Ce fut l’objet du voyage de l’abbé de Choisy, qui y perdit toute son insinuation, son esprit et son bien-dire. Il revint à la Ferté avec force compliments, mais chargé de refus sur tout. On ne peut exprimer quels furent les transports de rage avec lesquels ils furent reçus, ni tout ce que vomit le cardinal de Bouillon contre un homme si distant de lui, devant lequel il s’étoit humilié, et en avoit inutilement imploré la protection contre ses prétendus ennemis, contre le roi, contre les ministres, contre ses amis. Ce dernier trait de mépris acheva de lui tourner la tête. Il comprit son exil sans fin et les dégoûts journaliers, inépuisables, sans secours, sans ressource, sans espérance d’aucun moyen d’adoucir sa situation, beaucoup moins de la changer. Je sus tout cela par le curé de la Ferté, qui étoit homme d’esprit et savant, avec lequel il s’étoit familiarisé dans ses promenades, qu’il avoit même fait manger quelquefois avec lui, lui qui n’avoit pas voulu manger avec ce qu’il y avoit de plus distingué à Rouen, et devant lequel il ne se cachoit pas. J’ai lieu de croire, mais sans en être certain, que ce fut l’époque de la résolution qu’il exécuta près de deux ans après, parce qu’il lui fallut tout ce temps pour arranger dessus toutes ses affaires. Outre la consolation de se trouver [dans] un lieu agréable, d’entière solitude et de parfaite liberté, où choqué ni contraint sur rien, il faisoit tout ce qu’il lui plaisoit à son aise, il attendoit sans le dire le départ de la cour pour Fontainebleau.

Ce long séjour que je n’avois pu prévoir ne laissoit pas de me mettre en peine, et je craignois que le roi, si justement piqué contre lui, ne le trouvât mauvais. J’en parlai au