Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/41

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M. d’Estrées fut un de ceux qui l’embarrassa le plus. Lieutenant général depuis douze ans par mérite et à force de services et d’actions à quarante-trois ans, c’étoit pour arriver bientôt à l’ouverture de la guerre en 1667. Colbert, son émule, en prit occasion d’exécuter l’utile projet qu’il avoit formé depuis longtemps de rétablir la marine. Il l’avoit dans son département de secrétaire d’État ; il en avoit les moyens par sa place de contrôleur général des finances, dont avec Fouquet il avoit détruit la surintendance. Louvois n’en avoit aucun d’empêcher ce rétablissement dans un royaume flanqué des deux mers. Il dégoûta d’Estrées ; il se brouilla de propos délibéré avec lui ; il le réduisit à se jeter à Colbert, qui, ravi de pouvoir faire une si bonne acquisition pour là marine qu’il s’agissoit de créer plutôt que de rétablir, le proposa au roi pour lui en donner le commandement.

Quoique ce savant métier en soit tout un autre que celui de la guerre par terre, d’Estrées s’y montra d’abord tout aussi propre. Il fit une campagne aux îles de l’Amérique qui y répara tout le désordre que les Anglois y avoient fait. Il en fut fait vice-amiral. Il battit et força les corsaires d’Alger, de Tunis et de Salé à demander la paix en 1670, et ne cessa depuis de se distinguer à la mer par de grandes actions.

Quelque soulagé que fût Louvois de s’être défait d’un homme si capable, il étoit outré de ses succès ; il étoit venu à le haïr après s’être brouillé avec lui uniquement pour s’en défaire. Sa gloire, unie à celle de la marine, lui étoit odieuse ; c’étoit pour lui la prospérité de Colbert, qui effaçoit à son égard celle de l’État. Colbert vouloit que la marine eût un maréchal de France, d’Estrées méritoit de l’être depuis longtemps ; Louvois eut le crédit de l’empêcher de passer avec ceux qu’on fit à la mort de M. de Turenne en 1675. Estrées et Colbert furent outrés, mais ils ne se rebutèrent point, l’un de continuer à mériter par des actions nouvelles,