Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/65

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conte qu’étant entrée dans un confessionnal sans être suivie dans l’église, sa mine n’avoit pas imposé au confesseur, ni son accoutrement. Elle parla de ses grands biens, et beaucoup des princes de Condé et de Conti. Le confesseur lui dit de passer cela. Elle, qui sentoit son cas grave, insista pour l’expliquer, et fit mention de grandes terres et de millions. Le bonhomme la crut folle et lui dit de se calmer, que c’étoit des idées qu’il falloit éloigner, qu’il lui conseilloit de n’y plus penser, et surtout de manger de bons potages, si elle en avoit le moyen. La colère lui prit, et le confesseur à fermer le volet. Elle se leva et prit le chemin de la porte. Le confesseur, la voyant aller, eut curiosité de ce qu’elle devenoit, et la suivit à la porte. Quand il vit cette bonne femme qu’il croyoit folle reçue par des écuyers, des demoiselles, et ce grand équipage avec lequel elle marchoit toujours, il pensa tomber à la renverse, puis courut à sa portière lui demander pardon. Elle, à son tour, se moqua de lui, et gagna pour ce jour de ne point aller à confesse. Quelques semaines avant sa mort, elle fut si mal qu’on la pressa de penser à elle. Enfin elle prit sa résolution. Elle envoya son confesseur avec un de ses gentilshommes à M. le Prince, à M. le prince de Conti et à MM. de Matignon, leur demander pardon de sa part. Tous allèrent la voir et en furent bien reçus ; mais ce fut tout : pas un n’en eut rien. Elle avoit quatre-vingt-six ans et acheva de donner ce qu’elle put aux deux filles de ce bâtard qu’elle avoit fait son héritier, dont l’une mourut jeune, sans être mariée ; l’autre épousa le duc de Luynes, comme je l’ai déjà dit.

Cette mort mit promptement bien des gens en campagne. Le duc de Villeroy et Matignon partirent aussitôt pour Neuchâtel, et M. le prince de Conti pour Pontarlier, parce que le roi ne voulut pas qu’il se commît, comme en son premier voyage, au manque de respect qu’il avoit éprouvé à Neuchâtel. De Pontarlier, il étoit à portée d’y donner ses ordres pour ses affaires, et d’en savoir des nouvelles à tous