Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/77

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L’éclat dont brillèrent longtemps le duc et la duchesse de Créqui avoit donné une telle jalousie à leur belle-soeur, qu’elle ne les pouvoit souffrir. Elle avoit beaucoup d’esprit et poussa tellement la duchesse de Créqui à bout, qui n’en avoit point, qu’avec toute sa douceur elle ne put s’empêcher de lui rendre haine pour haine, et de s’opposer autant qu’elle au mariage si sage de leurs enfants. C’est ainsi que les femmes perdent ou rétablissent les maisons par leur humeur ou par leur bonne conduite.

Vaillac mourut en ce même temps. C’étoit un des bons officiers généraux que le roi eût pour la cavalerie, et lieutenant général qui auroit été loin, si le vin, la crapule et l’obscurité qui en sont les suites, n’eût rendu ses talents et ses services inutiles. Il tenoit beaucoup de vin, enivroit sa compagnie et s’enivroit après. Des coquins le marièrent ivre mort, en garnison, à une gueuse, sans qu’il sût rien de ce qu’il faisoit, sans ban, sans contrat, sans promesse. Quand il eut cuvé son vin et qu’il fut bien éveillé, il se trouva bien étonné de trouver cette créature couchée avec lui. Il lui demanda avec surprise qui l’avoit mise là, et ce qu’elle y faisoit. La gueuse s’étonne encore plus, dit qu’elle est sa femme ; et prend le haut ton. Voilà un homme éperdu, qui se croit fou, qui ne sait ce qu’on lui veut dire et qui appelle au secours. La partie étoit bien liée. Il n’entend que le même langage, et ne voit que témoins de son mariage du soir précédent. Il maintient qu’ils en ont menti ; qu’il n’en a pas le moindre souvenir, et aussi qu’il lui soit jamais entré dans l’esprit de se déshonorer par un pareil mariage. Grande rumeur. À la fin ils virent qu’il faudroit se battre ou essuyer des coups de bâton, et l’aventure prit fin sans qu’il en ait été question depuis.

On à donné pour véritable, qu’ayant été fort régalé par le magistrat de Bâle, à titre de grand buveur, et les ayant tous vaincus à boire, il leur proposa, étant monté à cheval pour, s’en aller, de boire le vin de l’étrier ; qu’ils firent apporter