Aller au contenu

Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/126

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

vendeurs à le hausser malgré eux ; que sur les cris, du peuple combien cette cherté dureroit, il échappa à quelques-uns des commissaires, et dans un marché à deux pas de chez moi, près Saint-Germain des Prés, cette réponse assez claire, Tant qu’il vous plaira, comme faisant entendre, poussés de compassion et d’indignation tout ensemble, tant que le peuple souffriroit qu’il n’entrât de blé dans Paris que sur les billets de d’Argenson, et il n’y en entroit pas autrement. D’Argenson, que la régence a vu tenir les sceaux, étoit alors lieutenant de police, et fut fait en ce même temps conseiller d’État, sans quitter la police. La rigueur de la contrainte fut poussée à bout sur les boulangers, et ce que je raconte fut uniforme par toute la France. Les intendants faisoient dans leurs généralités[1] ce que d’Argenson faisoit à Paris ; et par tous les marchés, le blé qui ne se trouvoit pas vendu au prix fixé, à l’heure marquée pour finir le marché, se remportoit forcément, et ceux à qui la pitié le faisoit donner à un moindre prix étoient punis avec cruauté.

Maréchal, premier chirurgien du roi, de qui j’ai parlé plus d’une fois, eut le courage et la probité de dire tout cela au roi, et d’y ajouter l’opinion sinistre qu’en concevoit le public, les gens hors du commun, et même les meilleures têtes. Le roi parut touché, n’en sut pas mauvais gré à Maréchal ; mais il n’en fut autre chose.

Il se fit en plusieurs endroits des amas prodigieux, et avec le plus grand secret qu’il fut possible. Rien n’étoit plus sévèrement défendu par les édits aux particuliers, et les délations également prescrites. Un pauvre homme s’étant avisé d’en faire une à Desmarets en fut rudement châtié. Le parlement s’assembla par chambres à ces désordres, ensuite

  1. On appelait généralités des circonscriptions financières de l’ancienne France ; leur nom venait de ce qu’il y avait primitivement dans chacune de ces circonscriptions un ou plusieurs généraux des finances ; c’était ainsi qu’on appelait alors les receveurs généraux et les trésoriers de France. Voy., sur les intendants, t. III, p. 442.