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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/57

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la frayeur qu’il ne les culbutât jusqu’à les faire chasser une autre fois.

Son extérieur ne promettoit rien moins, et tint exactement parole ; il eût fait peur au coin d’un bois. Sa physionomie étoit ténébreuse, fausse, terrible ; les yeux ardents, méchants, extrêmement de travers : on étoit frappé en le voyant.

À ce portrait exact et fidèle d’un homme qui avoit consacré corps et âme à sa compagnie, qui n’eut d’autre nourriture que ses plus profonds mystères, qui ne connut d’autre Dieu qu’elle, et qui avoit passé sa vie enfoncé dans cette étude, du génie et de l’extraction qu’il étoit, on ne peut être surpris qu’il fût sur tout le reste grossier et ignorant à surprendre, insolent, impudent, impétueux, ne connoissant ni monde, ni mesure, ni degrés, ni ménagements, ni qui que ce fût, et à qui tous moyens étoient bons pour arriver à ses fins. Il avoit achevé de se perfectionner à Rome dans les maximes et la politique de sa société, qui pour l’ardeur, de son naturel et son roide avoit été obligée de le renvoyer promptement en France, lors de l’éclat que fit à Rome son livre mis à l’index.

La première fois qu’il vit le roi dans son cabinet, après lui avoir été présenté, il n’y avoit que Bloin et Fagon dans un coin. Fagon, tout voûté et appuyé sur son bâton, examinoit l’entrevue et la physionomie du personnage, ses courbettes et ses propos. Le roi lui demanda s’il étoit parent de MM. Le Tellier. Le père s’anéantit : « Moi, sire, répondit-il, parent de MM. Le Tellier ! je suis bien loin de cela ; je suis un pauvre paysan de basse Normandie, où mon père étoit un fermier. » Fagon qui l’observoit jusqu’à n’en rien perdre, se tourna en dessous à Bloin, et faisant effort pour le regarder : « Monsieur, lui dit-il en lui montrant le jésuite, quel sacré.. ! » et haussant les épaules se remit sur son bâton. Il se trouva qu’il ne s’étoit pas trompé dans un jugement si étrange d’un confesseur. Celui-ci avoit fait toutes