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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/67

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ouï parler chez lui que de l’esprit des Mortemart. Voulant se mettre dans le monde, il crut qu’au nom qu’il portoit il en falloit avoir comme eux. Ne s’en donne pas qui veut, ni tel qu’on le désire. Ses efforts n’aboutirent qu’à une maussade copie de Roquelaure, assez mauvais original lui-même. Je ne le connoissois comme point ; je ne le rencontrois que chez MM. de Chevreuse et de Beauvilliers, et encore fort rarement aux heures familières où j’y allois ; il y étoit sérieux, silencieux, emprunté, et y demeuroit le moins qu’il lui étoit possible. La solitude, la mauvaise compagnie, le vin surnageoient toujours au reste de sa conduite, et M. et Mme de Beauvilliers, quelquefois aussi M. et Mme de Chevreuse, malgré leurs extrêmes mesures pour tout ce qui regardoit leur famille, m’en contoient leur peine et leur douleur.

Ce soir-là, n’y ayant qui que ce soit que cette compagnie et aucuns domestiques, la conversation se tourna sur le bruit répandu d’une promotion de l’ordre à la Chandeleur et qui ne se fit point. Ces messieurs là-dessus me firent quelques questions sur le rang que les princes étrangers y ont obtenu aux diverses promotions, excepté à la première, et sur ce que MM. de Rohan et de Bouillon ne sont point chevaliers de l’ordre. J’expliquai simplement et froidement les faits qui m’étoient demandés, sentant bien à qui j’avois affaire ; et en effet M. de Mortemart se mit à faire des plaisanteries là-dessus fort déplacées. Il s’en engoua, croyant dire merveilles ; elles me jetèrent dans un silence profond. La Feuillade et les dames, qui vouloient savoir, tachèrent inutilement de m’en tirer, et M. de Mortemart à pousser de plus belle. Quoique ses plaisanteries ne me regardassent point et ne tombassent que sur les rangs, auxquels pourtant il n’avoit pas moins d’intérêt que moi et tous les autres, je sentis assez d’impatience pour faire une sage retraite. Je voulus m’en aller, on me retint malgré moi, et je ne voulus pas forcer les barricades de leurs bras. M. de Mortemart cependant disoit toujours et ne tarissoit pas. À la fin je lui dis je ne sais quoi