Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/296

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et lorsqu’il eut achevé l’établissement intérieur de sa famille, enfin aux diverses occasions où on l’a vu ici si près d’être perdu. Le duc de Chevreuse et lui avoient un goût et un penchant entier à la retraite. Il y étoit si entier que leur vie en tenoit une proximité tout à fait indécente à leurs emplois ; mais l’ardeur de leurs désirs d’être utiles à la gloire de Dieu, à l’Église, à leur propre salut, le leur fit croire de la meilleure foi du monde attaché à demeurer en des places qui pussent ne rien laisser échapper sur le retour de leur père spirituel. Il ne leur fallut pas une raison à leur avis moins transcendante pour essayer tout, glisser sur tout et conjurer les orages, pour n’avoir pas à se reprocher un jour le crime de s’être rendus inutiles à une œuvre à leurs yeux si principale, dont les occasions leur pouvoient être présentées par les ressorts inconnus de la Providence, encore que, depuis si longtemps, ils n’y eussent pu entrevoir le moindre jour.

Le changement subit arrivé par la mort de Monseigneur leur parut cette grande opération de la Providence, expresse pour M. de Cambrai, si persévéramment attendue, sans savoir d’où ni comment elle s’accompliroit, la récompense du juste qui vit de la foi, qui espère contre toute espérance, et qui est délivré au moment le plus imprévu. Ce n’est pas que je leur aie ouï rien dire de tout cela ; mais qui les voyoit comme moi dans leur intérieur, y voyoit une telle conformité dans tout le tissu de leur vie, de leur conduite, de leurs sentiments que leur attribuer ceux-là, c’est moins les scruter que les avoir bien connus. Serrés sur tout ce qui pouvoit approcher ces matières, renfermés entre eux autres anciens disciples, avec une discrétion et une fidélité merveilleuse, sans faire ni admettre aucuns prosélytes dans la crainte de s’en repentir, ils ne jouissoient qu’ensemble d’une vraie liberté, et cette liberté leur étoit si douce qu’ils la préféroient à tout ; de là, plus que de toute autre chose, cette union plus que fraternelle des ducs et des duchesses