Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/297

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de Chevreuse et de Beauvilliers ; de là le mariage du duc de Mortemart, fils de la disciple sans peur, sans mesure, sans contrainte ; de là les retraites impénétrables de la fin de chaque semaine à Vaucresson, avec un très-petit nombre de disciples trayés, obscurs et qui s’y succédoient les uns aux autres ; de là cette clôture de monastère qui les suivoit au milieu de la cour ; de là cet attachement au delà de tout au nouveau Dauphin, soigneusement élevé et entretenu dans les mêmes sentiments. Ils le regardoient comme un autre Esdras, comme le restaurateur du temple et du peuple de Dieu après la captivité.

Dans ce petit troupeau étoit une disciple des premiers temps formée par M. Bertau, qui tenoit des assemblées à l’abbaye de Montmartre, où elle ayait été instruite dès sa jeunesse, où elle alloit toutes les semaines avec M. de Noailles qui sut bien s’en retirer à temps : c’étoit la duchesse de Béthune, qui avoit toujours augmenté depuis en vertu, et qui avoit été trouvée digne par Mme Guyon d’être sa favorite. C’étoit par excellence la grande âme, devant qui M. de Cambrai même étoit en respect, et qui n’y étoit à son tour que par humilité et par différence de sexe. Cette confraternité avoit fait de la fille du surintendant Fouquet l’amie la plus intime des trois filles de Colbert et de ses gendres, qui la regardoient avec la plus grande vénération.

Le duc de Béthune, son mari, n’étoit qu’un frère coupe-choux qu’on toléroit à cause d’elle ; mais le duc de Charost, son fils, recueillit tous les fruits de la béatitude de sa sainte mère. Une probité exacte, beaucoup d’honneur, et tout ce qu’il y pouvoit ajouter de vertu à force de bras, mais rehaussée de tout l’abandon à M. de Cambrai qui se pouvoit espérer du fils de la disciple mère, faisoit le fond du caractère de ce fils, d’ailleurs incrusté d’une ambition extrême, de jalousie à proportion, d’un grand amour du monde dans lequel il étoit fort répandu, et auquel il étoit fort propre ; l’esprit du grand monde, aucun d’affaires, nulle instruction