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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/384

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que le cadet dépendît toujours de lui ; qu’il valoit mieux qu’il fût pauvre en attendant que son frère fût roi pour recevoir alors des marques de sa libéralité, que si, mis prématurément à son aise, il se trouvoit alors en état de se passer, conséquemment de mériter peu ses bienfaits ; qu’avoir Meudon et ne donner pas le moindre signe d’en vouloir user, seroit au Dauphin un moyen sûr de plaire infiniment au roi ; qu’en un mot Meudon convenoit au Dauphin, qu’il y avoit sa part et son préciput, et celle encore du roi d’Espagne en lui donnant des meubles et d’autres choses en échange, et que, si M. le duc de Berry se trouvoit y avoir quelque chose, il l’en falloit récompenser en diamants.

Ce raisonnement politique me parut fort tiré et ne put m’entrer dans la tête. Je soutins au duc la supériorité des bienfaits sur la nécessité à l’égard d’un fils de France ; la bienséance d’adoucir par des prémices solides d’amitié cette grande différence que la mort du père mettoit entre les frères, et la totale dont la perspective commençoit à se faire sentir ; l’utile sûreté d’émousser les semences d’aigreur entre eux, en saisissant l’occasion unique de gratifier un frère avant d’être son roi ; la disproportion de l’avantage idéal d’un côté, très-effectif de l’autre, et celle de l’impression que prendroit le monde d’une conduite sèche, dure, littérale, ou remplie de générosité et de tendresse ; l’impuissance de retenir un frère dans sa future cour qu’à faute de maison ailleurs, que tôt ou tard il lui faudroit bien donner, non comme grâce, mais comme chose de toute nécessité ; l’abondance des moyens, toujours nouveaux, fournis par la couronne, de gratifier un frère qui même étoit si mal apanagé, et à qui Meudon augmenteroit bien plus qu’il ne diminueroit le besoin des grâces, comme on avoit vu que Saint-Cloud avoit été une source de besoins à Monsieur si prodigieusement apanagé, et au roi un moyen continuel de le tenir, dont il avoit si bien su profiter ; enfin indépendamment du sacrifice de l’usage de Meudon, le Dauphin,