Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/112

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

deux ou pour l’un ou l’autre, quoique rare pour M. de Beauvilliers ; mais en tout et partout un inviolable secret dans toute sa profondeur.

Avec tant et de si grandes parties, ce prince si admirable ne laissoit pas de laisser voir un recoin d’homme, c’est-à-dire quelques défauts, et quelquefois même peu décents ; et c’est ce que, avec tant de solide et de grand, on avoit peine à comprendre, parce qu’on ne vouloit pas se souvenir qu’il n’avoit été que vice et que défaut, ni réfléchir sur le prodigieux changement, et ce qu’il avoit dû coûter, qui en avoit fait un prince déjà si proche de toute perfection qu’on s’étonnoit, en le voyant de près, qu’il ne l’eût pas encore atteinte jusqu’à son comble. J’ai touché ailleurs quelques-uns de ces légers défauts, qui, malgré son âge, étoient encore des enfances, qui se corrigeoient assez tous les jours pour faire sainement augurer que bientôt elles disparaîtroient toutes. Un plus important, et que la réflexion et l’expérience auroient sûrement guéri, c’est qu’il étoit quelquefois des personnes, mais rarement, pour qui l’estime et l’amitié de goût, même assez familière, ne marchoient pas de compagnie. Ses scrupules, ses malaises, ses petitesses de dévotion diminuoient tous les jours, et tous les jours il croissoit en quelque chose ; surtout il étoit bien guéri de l’opinion de préférer pour les choix la piété à tout autre talent, c’est-à-dire de faire un ministre, un ambassadeur, un général plus par rapport à sa piété qu’à sa capacité et à son expérience ; il l’étoit encore sur le crédit à donner à la piété, persuadé qu’il étoit enfin que de fort honnêtes gens, et propres à beaucoup de choses, le peuvent être sans dévotion, et doivent cependant être mis en œuvre, et du danger encore de faire des hypocrites.

Comme il avoit le sentiment fort vif, il le passoit aux autres, et ne les en aimoit et n’estimoit pas moins. Jamais homme si amoureux de l’ordre ni qui le connût mieux, ni si désireux de le rétablir en tout, d’ôter la confusion, et de