Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/198

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d’être fort affligé comme un homme qui a perdu la plus grande et la plus certaine fortune.

Cette idée qui en peu de temps devint générale, et qui est de celles qu’on ne fortifie jamais mieux que lorsqu’on entreprend de les combattre, ne cadroit pas en moi avec celle qui ne l’étoit pas moins devenue, du prétendu crime de M. le duc d’Orléans que le duc du Maine répandoit de tout son art, et que Mme de Maintenon soutenoit de toute sa haine, de toutes ses affections, de toute sa puissance. J’étois trop connu pour qu’on pût imaginer que quelque considération ni quelque nécessité que ce pût être vînt jamais à bout de me ployer à voir celui que je soupçonnerois d’un forfait si exécrable, combien moins de vivre avec lui tous les jours en intimité et de braver par cette conduite, dont la singularité m’étoit pour le moins inutile, le cri public, appuyé de toute la faveur et de toute l’autorité qui réduisoient le prince, que je voyois sans cesse, à la solitude la plus entière et la plus humiliante au milieu du monde et de la cour, et dans le sein de sa plus proche famille. J’étois aussi trop avant avec le prince que tous les cœurs pleuroient, avec tout ce qui l’environnoit de plus intime, et d’autre part avec celui que de si puissantes raisons d’intérêt et de haine vouloient résolument écraser de ce crime, pour qu’il fût possible que je ne me doutasse de rien à son égard, pour peu qu’il y eût quelque apparence, même légère, de soupçons, ce qui étoit manifestement détruit par ma conduite avec lui, que ne détruisoit point celle du peu d’autres intimes entours du Dauphin, qui n’ayant nulle habitude avec M. le duc d’Orléans ne changeoient rien en cette occasion à leur conduite avec lui.

M. de Beauvilliers, comme je l’ai remarqué, avoit dans tous les temps évité de le voir, et M. de Chevreuse ne le voyoit que de loin à loin et toujours à des heures particulières. C’étoit donc le contraste que ma conduite faisoit avec l’opinion régnante et dominante et la brèche qu’elle pouvoit