Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/55

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lui adresser ; ce qu’il lui devoit écrire à lui en accompagnement ; et la lettre originale que lui écrivoit son neveu, l’abbé Bochard de Saron, trésorier de la Sainte-Chapelle de Vincennes, en lui envoyant celles que je viens de marquer de la part du P. Tellier qui les lui avoit remises, tombèrent entre les mains du cardinal de Noailles. Cela montroit la trame si manifestement qu’il n’y avoit ni manteau ni couverture à y mettre. Le cardinal n’avoit qu’à s’en aller trouver le roi à l’instant ; et sans se dessaisir de ces importantes pièces, les lui faire lire, lui en commenter courtement toute l’horreur, et lui montrer les suites de ce qui se brassoit si ténébreusement contre lui, aux dépens du repos du roi et de l’Église, lui demander justice en général, et en particulier de chasser le P. Tellier si loin, qu’on n’en pût plus entendre parler, en aller user de même avec Mme de Maintenon, puis faire tout le fracas que méritoit une si profonde scélératesse. Le P. Tellier étoit perdu sans ressource, les évêques écrivains convaincus, l’affaire en poudre, et le cardinal plus en crédit et plus assuré que jamais.

Au lieu d’un parti si aisé et si sage, le cardinal, plein de confiance en la proie qu’il tenoit, en parla, la montra, attendit le jour de son audience. La chose transpira, le P. Tellier fut averti, l’excès du danger lui donna des ailes et des forces ; il prévint le roi comme il put ; il réussit, tant ce prince lui étoit abandonné. Le cardinal trouva les devants pris. Son étonnement et l’indignation de voir le roi froid sur une imposture aussi énorme et aussi claire l’étourdirent. Il ne s’aperçut pas assez que le roi ne laissoit pas d’être incertain, ébranlé : c’étoit où il falloit de la force pour l’emporter, et ne lui laisser pas l’intervalle de huit jours jusqu’à sa prochaine audience pour se rassurer et se laisser prendre aux nouveaux piéges de son confesseur. Il n’y mit que de la douceur et de la misère, et il échoua ainsi au port. Le P. Tellier, qui, malgré son audace, ses mensonges et ses ruses, trembloit de l’effet qu’auroit cette audience du cardinal,