Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 11.djvu/177

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qu’il contient. Je vous le remets pour le garder au parlement, à qui je ne puis donner un plus grand témoignage de mon estime et de ma confiance, que de l’en rendre dépositaire. L’exemple des rois mes prédécesseurs et celui du testament du roi mon père ne me laissent pas ignorer ce que celui-ci pourra devenir ; mais on l’a voulu, on m’a tourmenté, on ne m’a point laissé de repos, quoi que j’aie pu dire. Oh bien ! j’ai donc acheté mon repos. Le voilà, emportez-le, il deviendra ce qu’il pourra ; au moins j’aurai patience et je n’en entendrai plus parler. » À ce dernier mot, qu’il finit avec un coup de tête fort sec, il leur tourna le dos, passa dans un autre cabinet et les laissa tous deux presque changés en statues. Ils se regardèrent, glacés de ce qu’ils venoient d’entendre, et encore mieux de ce qu’ils venoient de voir aux yeux et à toute la contenance du roi, et dès qu’ils eurent repris leurs sens ils se retirèrent et s’en allèrent à Paris. On ne sut que l’après-dînée que le roi avoit fait un testament, et qu’il le leur avoit remis. À mesure que la nouvelle se publia, la consternation remplit la cour, tandis que les flatteurs, au fond aussi consternés que le reste de la cour et que Paris le fut ensuite, se tuèrent de louanges et d’éloges.

Le lendemain lundi 28, la reine d’Angleterre vint de Chaillot, où elle étoit presque toujours avec Mme de Maintenon. Le roi l’y fut trouver. Dès qu’il l’aperçut : « Madame, lui dit-il en homme plein et fâché, j’ai fait mon testament, on m’a tourmenté pour le faire ; » passant lors les yeux sur Mme de Maintenon : « J’ai acheté du repos ; j’en connois l’impuissance et l’inutilité. Nous pouvons tout ce que nous voulons tant que nous sommes ; après nous, nous pouvons moins que les particuliers ; il n’y a qu’à voir ce qu’est devenu celui du roi mon père, et aussitôt après sa mort, et ceux de tant d’autres rois. Je le sais bien, malgré cela on l’a voulu, on ne m’a donné ni paix, ni patience, ni repos qu’il ne fût fait ; oh bien ! donc, madame, le voilà fait, il deviendra