Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 11.djvu/264

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sa vie, et le cardinal y participa dès sa jeunesse. C’étoit l’homme du monde le mieux et le plus noblement fait de corps et d’âme, d’esprit et de visage, qu’on voyoit avoir été beau en jeunesse, et qui étoit vénérable en vieillesse, l’air prévenant mais majestueux, de grande taille, des cheveux presque blancs, une physionomie qui montroit beaucoup d’esprit, et qui tenoit parole, un esprit supérieur et un bel esprit, une érudition rare, vaste, profonde, exacte, nette, précise, beaucoup de vraie et de sage théologie, attachement constant aux libertés de l’Église gallicane et aux maximes du royaume, une éloquence naturelle, beaucoup de grâce et de facilité à s’énoncer, nulle envie d’en abuser, ni de montrer de l’esprit et du savoir, extrêmement noble, désintéressé, magnifique, libéral, beaucoup d’honneur et de probité, grande sagacité, grande pénétration, bon et juste discernement, souvent trop de feu en traitant les affaires. Il avoit été galant dans sa jeunesse, et il l’étoit demeuré sans blesser aucunes bienséances. Parmi un courant d’affaires, la plupart de sa vie continuelles, réglé en tout, aumônier, et très homme de bien. C’étoit l’homme du monde de la meilleure compagnie, la plus instructive, la plus agréable, et dont la mémoire toujours présente n’avoit jamais rien oublié ni confondu de tout ce qu’il avoit su, vu et lu ; toujours gai, égal, et sans la moindre humeur, mais souvent singulièrement distrait ; qui aimoit à faire essentiellement plaisir, à servir, à obliger, qui s’y présentoit aisément, et qui ne s’en prévaloit jamais ; il savoit haïr aussi et le faire sentir ; mais il savoit encore mieux aimer. C’étoit un homme très-généreux ; il étoit aussi fort courtisan et fort attentif aux ministres et à la faveur, mais avec dignité, un désinvolte qui lui étoit naturel, et incapable de rien de ce qu’il ne croyoit pas devoir faire. Jamais les jésuites ne purent l’entamer sur rien, ni le roi sur eux, ni sur ce qu’on lui faisoit passer pour jansénisme, ni en dernier lieu, comme on l’a vu sur la constitution, ni l’empêcher d’agir, et même de