Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 11.djvu/469

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main, dont il menaça le parlement, en lui parlant en termes répondant à ce geste. » Cette scène dramatique s’est gravée profondément dans les esprits et est devenue un des lieux communs de l’histoire traditionnelle. On y a ajouté un de ces mots à effet qui ne sortent plus de la mémoire des peuples. Louis XIV, d’après la tradition, auroit répondu au premier président qui lui parloit de l’intérêt de l’État : « L’État, c’est moi » On place cette scène le 20 mars 1655.

Quel est sur ce point le récit des historiens contemporains ? Les principaux auteurs de Mémoires qui écrivoient à cette époque et s’occupoient de l’intérieur de la France sont Mlle de Montpensier, Mme de Motteville, Montglat et Gourville ; il faut y ajouter Gui Patin, dont les lettres forment une véritable gazette de l’époque. Mlle de Montpensier, qui vivoit alors loin de Paris, ne traite que des intrigues de sa petite cour. Mme de Motteville ne parle pas de ces scènes, auxquelles Anne d’Autriche resta étrangère. Quant à Gourville, qui étoit alors attaché à Nicolas Fouquet, à la fois surintendant et procureur général, il donne de curieux renseignements sur le prix auquel les conseillers du parlement vendoient leurs votes [1]. Gui Patin, dont on connoît l’humeur chagrine, se borne à dire dans une lettre du 26 mars 1665 : « Le lendemain matin le roi a été au palais, où il a fait vérifier quantité d’édits de divers offices et autres. M. Bignon y a harangué devant le roi très pathétiquement, et y a dit merveilles, et nonobstant tout a passé ; interea patitur justus ; nec est qui recogitet corde. » Dans une lettre du 21 avril, il ajoute : « Le parlement s’étoit assemblé de nouveau pour examiner les édits que le roi fit vérifier en sa présence la dernière fois qu’il fut au palais, qui fut à la fin du carême : cela a irrité le conseil, et défenses là-dessus leur ont été envoyées de ne pas s’assembler davantage. Et de peur que le roi ne fût pas obéi, il a pris lui-même la peine d’aller au palais bien accompagné, où de sa propre bouche, sans autre cérémonie, il leur a défendu de s’assembler davantage contre les édits qu’il fit l’autre jour publier. »

Le marquis de Montglat, dont les Mémoires se distinguent par leur exactitude, est celui des auteurs contemporains qui insiste le plus

  1. « M. Fouquet me parlant un jour de la peine qu’il y avoit à faire vérifier des édits au parlement, je lui dis que, dans toutes les chambres, il y avoit des conseillers qui entraînaient la plupart des autres ; que je croyais qu’on pouvoit leur faire parler par des gens de leur connoissance, leur donner à chacun cinq cents écus de gratification et leur en faire espérer autant dans la suite aux étrennes. J’en fis une liste particulière, et je fus chargé d’en voir une partie que je connaissais. On en fit de même pour d’autres…. Quelque temps après il se présenta une occasion au parlement, où M. Fouquet jugea bien que ce qu’il avoit fait avoit utilement réussi. » Mémoires de Gourville, à l’année 1655.