Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/113

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

et que lui-même ne feignoit pas de nommer publiquement ses roués, chassa la bonne jusque dans sa puissance et lui fit un tort infini.

Sa défiance sans exception étoit encore une chose infiniment dégoûtante avec lui, surtout lorsqu’il fut à la tête des affaires, et le monstrueux unisson à ceux de sa familiarité hors de débauche. Ce défaut, qui le mena loin, venoit tout à la fois de sa timidité, qui lui faisoit craindre ses ennemis les plus certains, et les traiter avec plus de distinctions que ses amis ; de sa facilité naturelle ; d’une fausse imitation d’Henri IV, dont cela même n’est ni le plus beau ni le meilleur endroit ; et de cette opinion malheureuse que la probité étoit une parure fausse, sans réalité, d’où lui venoit cette défiance universelle. Il étoit néanmoins très persuadé de la mienne, jusque-là qu’il me l’a souvent reprochée comme un défaut et un préjugé d’éducation qui m’avoit resserré l’esprit et accourci les lumières ; et il m’en a dit autant de Mme de Saint-Simon, parce qu’il la croyoit vertueuse. Je lui avois aussi donné des preuves d’attachement trop fortes, trop fréquentes, trop continuelles dans les temps les plus dangereux, pour qu’il en pût douter ; et néanmoins voici ce qui m’arriva dans la seconde ou troisième année de la régence, et je le rapporte comme un des plus forts coups de pinceau, et si [1] dès lors mon désintéressement lui avoit été mis en évidence par les plus fortes coupelles [2], comme on le verra par la suite.

On étoit en automne. M. le duc d’Orléans avoit congédié les conseils pour une quinzaine. J’en profitai pour aller passer ce temps à la Ferté ; je venois de passer une heure seul avec lui, j’en avois pris congé et j’étois revenu chez moi, où, pour être en repos, j’avois fermé ma porte. Au bout d’une heure au plus, on me vint dire que Biron étoit à

  1. Quoique mon désintéressement lui eût été mis en évidence.
  2. Épreuves. Le mot coupelle désigne, au sens propre, un vase dont on se sert pour purifier, par l’action du feu, les métaux de tout alliage.