Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/115

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instamment de dépêcher sur-le-champ un courrier à Besançon, pour le mettre en repos par ce qu’il lui rapporteroit. Biron, haussant les épaules, me dit que tout cela étoit bel et bon, mais que, si je retrouvois quelque lettre du marquis de Ruffec, il me prioit de la lui envoyer sur-le-champ, et qu’il mettroit ordre qu’elle lui parvint même à table, malgré l’exacte clôture de leurs soupers. Je ne voulus pas retourner au Palais-Royal pour y faire une scène, et je renvoyai Biron. Heureusement Mme de Saint-Simon rentra quelque temps après ; je lui contai l’aventure. Elle trouva une dernière lettre du marquis de Ruffec que nous envoyâmes à Biron. Elle perça jusqu’à table comme il me l’avoit dit. M. le duc d’Orléans se jeta dessus avec empressement. L’admirable est qu’il ne connoissoit point son écriture. Non seulement il la regarda, mais il la lut ; et comme il la trouva plaisante, il en régala tout haut sa compagnie, dont elle devint l’entretien, et lui tout à coup affranchi de ses soupçons. À mon retour de la Ferté, je le trouvai honteux avec moi, et je le rendis encore davantage par ce que je lui dis là-dessus.

Il revint encore d’autres lettres de ce prétendu marquis de Ruffec. Il fut arrêté longtemps après à Bayonne, à table chez Dadoncourt, qui y commandoit, et qui en prit tout à coup la résolution sur ce qu’il lui vit prendre des olives avec une fourchette. Il avoua au cachot qui il étoit ; et ses papiers décelèrent le libertinage du jeune homme qui court le pays, et qui, pour être bien reçu et avoir de l’argent, prit le nom de marquis de Ruffec, se disoit brouillé avec moi, écrivoit à Mme de Saint-Simon pour se raccommoder par elle et la prier de payer ce qu’on lui prêtoit, le tout pour qu’on vît ses lettres, et que cela, joint à ce qu’il disoit de la famille, le fît croire mon fils et lui en procurât les avantages. C’étoit un grand garçon, bien fait, avec de l’esprit, de l’adresse et de l’effronterie, qui étoit fils d’un huissier de Madame, qui connoissoit toute la cour, et qui, dans le dessein qu’il avoit