Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/157

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Mme la Duchesse. J’étois d’autant plus embarrassé que je n’étois pas persuadé de son ignorance, et que néanmoins je l’avois vu souvent, et le voyois encore tomber, et vraiment, dans des lourdises là-dessus d’un paysan de basse Normandie qu’il étoit, qui n’en seroit jamais sorti. Outre que je ne me fiais à lui que de bonne sorte, je craignois que le roi ne se servit de lui, d’autant plus que cela redoubla depuis que j’eus cessé tout commerce avec le maréchal de Villeroy. Je n’avois rien à perdre du côté de Mme de Maintenon, de M. du Maine, de Mme la Duchesse, du maréchal de Villeroy, de Pontchartrain, et de quelques autres. Ceux-là me servirent à satisfaire sa vraie ou feinte confiance, et à me donner moyen de réserve sur qui je ne voulus pas m’expliquer avec lui.

Le duc de Noailles, auquel il en faut enfin venir, est un homme dont la description et ses suites coûteront encore plus à mon amour-propre que n’a fait le tableau de Mme la duchesse de Berry. Quand je n’avouerois pas que je ne le connoissois point au temps dont j’écris, et que je croyois le connoître, qu’on ne se trompa jamais plus lourdement que je fis, et qu’on ne peut pas être plus complètement sa dupe et en tous points, on le verroit clairement par le récit de ce qui s’est passé depuis en tous genres, de cour, d’affaires, d’État, de mon particulier. Je ne chercherai point à diminuer ma sottise ni à charger le tableau. La vérité la plus pure et la plus exacte sera ici, comme partout, mon guide unique et ma maîtresse. Je demande seulement grâce pour quelque répétition de ce qui se trouve peut-être répandu sur lui à propos de ses premières recherches pour moi, mais la vue d’un tout ensemble mérite ici cette indulgence.

Le serpent qui tenta Ève, qui renversa Adam par elle, et qui perdit le genre humain, est l’original dont le duc de Noailles est la copie la plus exacte, la plus fidèle, la plus parfaite, autant qu’un homme peut approcher des qualités