Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/277

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les provinces ? Tout cela fut fort goûté et approuvé ; et il me parut que M. le duc d’Orléans étoit résolu à cette exécution.

Je ne manquai pas de le prier de se souvenir combien de fois lui et moi, tête à tête, nous nous étions échappés à l’envi sur les détails dont le roi se piquoit, qui le persuadoient, aidés de l’adresse, de l’intérêt, des artifices de ses ministres, qu’il voyoit, qu’il faisoit, qu’il gouvernoit tout par lui-même, tandis qu’amusé par des bagatelles, il laissoit échapper le grand qui devenoit la proie de ses ministres, parce que le jour n’a que vingt-quatre heures, et que le temps qu’on emploie au petit, on le perd pour le grand, sur lequel ils le faisoient tomber insensiblement du côté qu’ils vouloient, chacun dans son tripot. Je lui dis que, malgré la force de cet exemple et de son propre sentiment, il devoit être en garde continuelle avec lui-même sur l’appât des détails, qui sont la curiosité, les découvertes, tenir les gens en bride, briller aisément à ses propres yeux et à ceux des autres par une intelligence qui perce tant de différentes parties, le plaisir de paroître avec peu de peine, de sentir qu’on est maître et qu’on n’a qu’à commander, au lieu que le grand vous commande, oblige aux réflexions, aux combinaisons, à la recherche et à la conduite des moyens, occupe tout l’esprit sans l’amuser, et fait sentir l’impuissance de l’autorité qui humilie au lieu de flatter, et qui bande l’application à la recherche et à la suite de ce qui peut amener le succès auquel on tend, et fait sentir les fautes qu’on y a faites et l’inquiétude de les réparer, en sorte que rien de plus satisfaisant que les détails qui sont tous sous la main du prince, mais qui ne lui rapportent que du vent, parce qu’ils sont le partage du subalterne sous ses ordres généraux, qui là-dessus en sait plus que lui ; et que rien n’est plus pénible et ne flatte moins que le travail en grand, du succès duquel dépend la prospérité des affaires, et la gloire et la réputation du prince qui s’y donne, parce qu’il ne peut être le partage d’un autre, et qui y réussit. Non qu’il faille