Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/365

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

les dames dirent qu’il ne falloit point m’importuner, ni faire de façons avec moi ; et je cours encore. Je revins chez moi comme un homme ivre et qui se trouve mal. En effet, peu après que j’y fus, il se fit un tel mouvement en moi, de la violence que je m’étois faite, que je fus au moment de me faire saigner ; la vérité est qu’elle fut extrême. Je crus au moins en être quitte pour longtemps.

Dès le lendemain le duc de Noailles vint chez moi et me trouva. La visite se passa tête à tête ; c’étoit à la fin de la matinée. Il n’y fut question que de noces et de choses indifférentes. Il tint le dé tant qu’il voulut. Il parut moins embarrassé et plus à lui-même. Pour moi, j’y étois fort peu, et souffrois fort à soutenir la conversation, qui fut de plus de demi-heure, et qui me parut sans fin. La conduite se passa comme à l’archevêché. J’allai le lendemain voir la maréchale de Noailles, que je trouvai ravie. Je demandai son fils qui logeoit avec elle, et qui heureusement ne s’y trouva pas. Il chercha fort depuis à me rapprocher, et moi à éviter. Nous nous sommes vus depuis aux occasions, et rarement chez lui autrement, c’est-à-dire comme point, lui chez moi tant qu’il pouvoit, ou, s’il m’est permis de trancher le mot, tant qu’il osoit. Il vint à la noce. Ce fut la dernière cérémonie du cardinal de Noailles, qui les maria dans sa grande chapelle, et qui donna un festin superbe et exquis. J’en donnai un autre le lendemain, où le duc de Noailles fut convié qui y vint.

Quelques années après, étant à la Ferté, la duchesse de Ruffec me dit qu’il mouroit d’envie d’y venir, et après force tours et retours là-dessus, elle m’assura qu’il viendroit incessamment. Je demeurai fort froid et presque muet. Quand nous nous fûmes séparés, j’appelai mon fils qui en avoit entendu le commencement ; je lui en racontai la fin. Je lui dis après de dire à sa femme que, par honnêteté pour elle, je n’avois pas voulu lui parler franchement, mais qu’elle fit comme elle voudroit avec son oncle, de la part