Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/376

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ramenant le cardinal de Noailles, ou en manifestant par son refus et son opiniâtreté invincible à troubler l’Église, et son ingratitude consommée pour un roi à qui il devoit tout, et qui lui tendoit ses bras mourants. Le dernier arriva. Le cardinal de Noailles fut pénétré de douleur de ce dernier comble de l’artifice. Il avoit tort ou raison devant tout parti sur l’affaire de la constitution ; mais quoi qu’il en fût, l’événement de la mort instante du roi n’opéroit rien sur la vérité de cette matière, ni ne pouvoit opérer, par conséquent, aucun changement d’opinion. Rien de plus touchant que la conjoncture, mais rien de plus étranger à la question, rien aussi de plus odieux que ce piège qui, par rapport au roi, de l’état duquel ils achevèrent d’abuser si indignement, et par rapport au cardinal de Noailles qu’ils voulurent brider ou noircir si grossièrement. Ce trait énorme émut tout le public contre eux, avec d’autant plus de violence, que l’extrémité du roi rendit la liberté que sa terreur avoit si longtemps retenue captive. Mais quand on en sut le détail, et l’apostrophe du roi aux deux cardinaux, sur le compte qu’ils auroient à rendre pour lui de tout ce qu’il avoit fait sur la constitution, et le détail de ce qui là même s’étoit passé, tout de suite sur le cardinal de Noailles, l’indignation générale rompit les digues, et ne se contraignit plus ; personne au contraire qui blâmât le cardinal de Noailles, dont la réponse au chancelier fut en peu de mots un chef-d’œuvre de religion, de douleur et de sagesse.

Ce même lundi, 26 août, après que les deux cardinaux furent sortis, le roi dîna dans son lit en présence de ce qui avoit les entrées. Il les fit approcher comme on desservoit, et leur dit ces paroles qui furent à l’heure même recueillies : « Messieurs, je vous demande pardon du mauvais exemple que je vous ai donné. J’ai bien à vous remercier de la manière dont vous m’avez servi, et de l’attachement et de la fidélité que vous m’avez toujours marqués. Je suis bien fâché de n’avoir pas fait pour vous ce que j’aurois bien voulu