Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/386

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la tête embarrassée. Il prit de temps en temps un peu de gelée et de l’eau pure, ne pouvant plus souffrir le vin. Il n’y eut dans sa chambre que les valets les plus indispensables pour le service, et la médecine, Mme de Maintenon et quelques rares apparitions du P. Tellier, que Bloin ou Maréchal envoyoient chercher. Il se tenoit peu même dans les cabinets, non plus que M. du Maine. Le roi revenoit aisément à la piété quand Mme de Maintenon ou le P. Tellier trouvoient les moments où sa tête étoit moins embarrassée ; mais ils étoient rares et courts. Sur les cinq heures du soir, Mme de Maintenon passa chez elle, distribua ce qu’elle avoit de meubles dans son appartement à son domestique, et s’en alla à Saint-Cyr pour n’en sortir jamais.

Le samedi 31 août la nuit et la journée furent détestables. Il n’y eut que de rares et de courts instants de connoissance. La gangrène avoit gagné le genou et toute la cuisse. On lui donna du remède du feu abbé Aignan, que la duchesse du Maine avoit envoyé proposer, qui étoit un excellent remède pour la petite vérole. Les médecins consentoient à tout, parce qu’il n’y avoit plus d’espérance. Vers onze heures du soir on le trouva si mal qu’on lui dit les prières des agonisants. L’appareil le rappela à lui. Il récita des prières d’une voix si forte qu’elle se faisoit entendre à travers celle du grand nombre d’ecclésiastiques et de tout ce qui étoit entré. À la fin des prières, il reconnut le cardinal de Rohan, et lui dit : « Ce sont là les dernières grâces de l’Église. » Ce fut le dernier homme à qui il parla. Il répéta plusieurs fois : Nunc et in hora mortis, puis dit : « O mon Dieu, venez à mon aide, hâtez-vous de me secourir ! » Ce furent ses dernières paroles. Toute la nuit fut sans connoissance, et une longue agonie, qui finit le dimanche 1er septembre 1715, à huit heures un quart du matin, trois jours avant qu’il eût soixante-dix-sept ans accomplis, dans la soixante-douzième année de son règne.