Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/443

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

d’Alençon, me montrer, à la Ferté, un ordre de faire recherche des gentilshommes de sa généralité qui avoient des enfants en âge de servir, et qui n’étoient pas dans le service, de les presser de les y mettre, de les menacer même, et de doubler et tripler à la capitation ceux qui n’obéiroient pas, et de leur faire toutes les sortes de vexations dont ils seroient susceptibles. Ce fut à l’occasion d’un gentilhomme qui étoit dans le cas, et pour qui j’avois de l’amitié, et que j’envoyai chercher, en effet, pour le résoudre. Le Guerchois fut depuis intendant à Besançon, et il fut fait conseiller d’État dans les commencements de la régence.

Avant de finir ce qui regarde cette politique militaire, il faut voir à quel point Louvois abusa de cette misérable jalousie du roi de tout faire et de tout mettre dans sa dépendance immédiate, pour ranger tout lui-même sous sa propre autorité, et comment sa pernicieuse ambition a tari la source des capitaines en tout genre, et a réduit la France en ce point à n’en trouver plus chez elle, et à n’en pouvoir plus espérer, parce que des écoliers ne peuvent apprendre que sous des maîtres, et qu’il faut que cette succession se suive et se continue de main en main, attendu que la capacité ne se crée point par les hommes.

On a déjà vu les funestes obligations de la France à ce pernicieux ministre. Des guerres sans mesure et sans fin pour se rendre nécessaire, pour sa grandeur, pour son autorité, pour sa toute-puissance. Des troupes innombrables, qui ont appris à nos ennemis à en avoir autant, qui, chez eux, sont inépuisables, et qui ont dépeuplé le royaume ; enfin la ruine des négociations et de la marine, de notre commerce, de nos manufactures, de nos colonies, par sa jalousie de Colbert, de son frère et de son fils, entre les mains desquels étoit le département de ces choses, et le dessein trop bien exécuté de ruiner la France riche et florissante pour culbuter Colbert. Reste à voir comment il a, pour être pleinement maître, arraché les dernières racines des