Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/449

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aussi pour ceux qu’il voulut reculer et dégoûter. Le prodigieux nombre de troupes que le roi mettoit en campagne servit à grossir et à multiplier les promotions ; et ces promotions, devenues bien plus fréquentes et bien plus nombreuses depuis, ont accablé les armées d’un nombre sans mesure de tous les grades. Un autre inconvénient en est résulté : c’est qu’à force d’officiers généraux et de brigadiers, c’est merveille s’ils marchent chacun trois ou quatre fois dans toute une campagne, et ce n’en est pas une s’ils ne marchent qu’une fois ou deux. Or, sans leçon, sans école, quel moyen reste-t-il d’apprendre et de se former que de se trouver souvent en besogne pour s’instruire, si l’on peut, par la besogne même, à force de voir et de faire ? et ils n’y sont jamais, et ils n’y peuvent être.

Une autre chose a mis le comble à ce désordre et à l’ignorance de la guerre : ce sont les troupes d’élite. J’appelle ainsi dans l’infanterie les régiments des gardes françaises et suisses, et le régiment du roi ; dans la cavalerie, la maison du roi et la gendarmerie. Le roi, pour les distinguer, y a confondu tous les grades, et y a fait presque dans chaque promotion une fourmilière d’officiers généraux. Les officiers de ces corps ne peuvent même apprendre le peu que font les autres, parce que, tout avancés qu’ils sont, ils ne font jamais que le service de lieutenant ou de capitaine d’infanterie et de cavalerie, qui est celui de l’intérieur de leurs corps. Si on les fait servir d’officiers généraux, ils sautent immédiatement à ce service sans en avoir vu ni appris quoi que ce soit, ni du service encore des gardes qui sont entre-deux. On laisse à penser de celui qu’ils peuvent rendre, et de l’embarras que cette multiplication, qui se peut dire foule, cause dans une armée par eux-mêmes et par leurs équipages.

Et après tout cela on est surpris d’avoir tant de maréchaux de France, et si peu à s’en servir, et dans une immensité d’officiers généraux un nombre si court qui sache quelque