Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/488

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de vous en parler, vous promettant de ne le faire de ma vie et de souffrir avec patience l’enfer que cette personne me fait éprouver. Je vous dois encore davantage que cela, et, quand je devrois mourir mille fois, je ne manquerai pas aux obligations infinies que je vous ai, et, quand je serois assez méchant et ingrat pour le vouloir, l’amitié que j’ai pour vous, qui ne finira pas même dans le tombeau, m’en empêcheroit.

« Je souhaiterois vous pouvoir encore dire davantage, et, s’il m’étoit permis de vous envoyer mon cœur, assurément vous y verriez des choses qui ne vous déplairoient pas et plus dans cet instant que je vous écris qu’il n’a jamais été, quoique je voie, par la lettre que vous m’avez écrite, que vous avez oublié ce qu’il vous plut me dire avec tant de bonté à Paris, lorsque nous parlâmes si à fond sur le sujet de la même personne, laquelle a toujours été la seule cause de mes plaintes et du déplaisir que vous en avez témoigné en diverses rencontres.

« Mais il ne faut pas vous importuner davantage, et je dois me contenter des assurances que vous me donnez de votre amitié, sans prétendre vous gêner à n’en avoir pas pour cette personne, puisqu’il vous plaît de nous conserver tous deux à votre service. Je vous conjure de nouveau à genoux de me pardonner, si je vous donne du chagrin en vous ouvrant mon cœur qui ne vous cachera jamais rien, et je vous confirme que, si je devois vivre cent ans, je ne vous en dirai jamais un seul mot et que je serai toujours le même à votre égard avec certitude que vous n’aurez pas en aucun temps le moindre sujet de douter de ma passion extrême pour votre service, ni de mon amitié qui n’aura jamais de semblable si les anges [1] me veulent rendre justice le croyant ainsi, et je vous supplie de me rendre de bons offices auprès d’eux, vous protestant, comme si j’étois devant Dieu, que je les mérite. »

Mazarin revient sur le même sujet dans une lettre du 20 novembre 1659 :

« Je reconnois bien qu’à moins que les anges vous eussent inspiré de m’écrire une lettre si obligeante que celle que je viens de recevoir du 7 du courant, il vous étoit impossible de la former avec des termes si tendres et si avantageux pour moi qui ne désire aucune chose avec plus de passion que d’être toujours assuré de l’honneur de votre amitié. Je vous déclare encore une fois que rien n’est capable de m’en faire douter, quelque chose qui puisse arriver. Mais je vous avoue à même temps que vous me combleriez d’obligations, si vous aviez la bonté un jour de vouloir apporter quelque remède à ce que vous savez qui me fait de la peine et qui me la fera toute ma vie. Je vous

  1. Ce mot désigne Anne d’Autriche.