Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/498

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

sous-lieutenant de la compagnie des mousquetaires, qu’elle manda le jeudi premier jour du mois de septembre pour lui prescrire les ordres qu’il avoit à suivre. On le trouva dans le lit avec une grosse fièvre, nonobstant laquelle le roi lui fit commander de se rendre près de Sa Majesté en quelque état qu’il fût. Le sieur d’Artagnan ne put obéir à cet ordre qu’en se faisant porter dans la chambre du roi qui, le voyant en si mauvais état, ne lui dit autre chose, sinon que prenant une active confiance en sa fidélité, il avoit jeté les yeux sur lui pour l’exécution d’une résolution qu’il lui auroit communiquée, s’il avoit été en meilleur état ; mais qu’il falloit remettre la partie à deux ou trois jours, pendant lesquels il lui recommanda d’avoir soin de sa santé.

« Le vendredi et le samedi, le sieur d’Artagnan fut visité de la part du roi sous divers prétextes, et le dimanche s’étant rendu chez le roi sur le midi, Sa Majesté lui demanda tout haut des nouvelles de sa compagnie et témoigna qu’elle en vouloit voir le rôle qu’il lui remit entré les mains. Le roi entra en lisant dans le cabinet ; il en ferma lui-même la porte, dès que le sieur d’Artagnan y fut entré, et, après quelques paroles qui témoignoient une obligeante confiance, Sa Majesté lui déclara qu’étant mal satisfaite de M. Fouquet, elle avoit résolu de le faire arrêter. Elle lui recommanda d’exécuter cet ordre avec prudence et avec adresse, et lui mit en main un paquet dans lequel étoient les ordres qu’il avoit à suivre, lui recommandant d’en aller faire l’ouverture chez M. Le Tellier. Comme le sieur d’Artagnan se vouloit retirer, le roi lui dit qu’il falloit payer de quelque défaite ceux qui étoient à la porte, et qui l’avoient vu demeurer si longtemps dans le cabinet. Ce qui l’obligea de dire à ceux qu’il rencontra, en sortant qu’il venoit de demander au roi un don que Sa Majesté lui avoit accordé de la meilleure grâce du monde, et de ce pas s’étant rendu chez M. Le Tellier qu’il trouva environné de beaucoup de gens, il lui dit tout haut que le roi lui avoit accordé une grâce, dont il lui avoit commandé de venir demander promptement les expéditions. Ce qui donna occasion à M. Le Tellier de l’emmener dans son cabinet, où le sieur d’Artagnan se trouva si foible qu’il fut obligé de demander du vin pour prévenir une défaillance. S’étant remis il ouvrit le paquet, où il vit une lettre de cachet pour arrêter M. Fouquet, une autre lettre contenant la route qu’il falloit tenir, et tout ce qu’il avoit à faire pour le conduire jusques au lieu de sa prison, une autre lettre pour envoyer un brigadier et dix mousquetaires en la ville d’Ancenis pour exécuter l’ordre qui leur seroit envoyé le lendemain de leur arrivée, qui fut d’arrêter tous autres courriers que ceux de Sa Majesté, afin d’empêcher que la nouvelle de cet emprisonnement ne vint à Paris par d’autres voies. Il y avoit encore dans le paquet diverses lettres adressées aux gouverneurs des places, et toutes ces lettres étoient écrites de la main de M. Le Tellier.