Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/502

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de Carrat, préposés à la garde de M. Fouquet, de le mener à Paris dans un carrosse de louage qui leur fut envoyé à cet effet ; le sieur de Talois lui fit entendre ce nouvel ordre dont il parut surpris. Il témoigna le lendemain qu’on lui avoit fait plaisir de le préparer à ce voyage, et que ce changement lui faisoit de la peine. Il demanda même à diverses reprises au sieur de Talois à quoi ce voyage qui le rapprochoit du roi devoit aboutir, et si c’étoit pour quelque chose de mieux ou de pis. Sur quoi, le sieur de Talois lui dit quelques bonnes paroles pour le remettre.

« Le jour de Noël, le sieur de Talois le fit monter dans un carrosse où entrèrent le sieur Pecquet, Lavallée, le sieur de Talois, le sieur Batine, maréchal de la compagnie des mousquetaires, et les sieurs Bonin et Blondeau, qui avoient amené le carrosse à Amboise, d’où le prisonnier fut conduit en la ville de Blois par vingt-six mousquetaires. Il coucha à l’hôtellerie de la Galère. Le second jour, il coucha à Saint-Laurent-des-Eaux, aux Trois-Rois ; le troisième à Orléans, au faubourg de Paris, à la Salamandre ; le quatrième à Toury, au Grand-Cerf ; le cinquième à Étampes ; le sixième à Corbeil, aux Carnaux, d’où il fut conduit au château de Vincennes le dernier décembre.

« Il dit en passant près de sa maison de Saint-Mandé qu’il y auroit plus de plaisir à prendre à gauche qu’à droite, mais que puisqu’il avoit été si malheureux que de déplaire au roi il falloit prendre patience.

« Il fut accueilli avec beaucoup d’injures dans tous les lieux où il passa [1], et quelques soins que les gardes pussent prendre pour écarter

    le prisonnier était gardé. Je vous en ferais volontiers la description ; mais ce souvenir est trop affligeant.

    Qu’est-il besoin que je retrace
    Une garde au soin nonpareil ?
    Chambre murée, étroite place,
    Quelque peu d’air pour toute grâce ;
        Jours sans soleil,
        Nuits sans sommeil :
    Trois portes en six pieds d’espace !
    Vous peindre un tel appartement,
    Ce seroit attirer vos larmes.
    Je l’ai fait insensiblement :
    Cette plainte a pour moi des charmes.

    « Sans la nuit on n’eût jamais pu m’arracher de cet endroit. »

  1. Ce fait est confirmé par le journal inédit d’Olivier d’Ormesson, IIe partie. fol. 27 r°. D’Artagnan raconta à d’Ormesson qu’à Angers, « les habitants dirent mille injures à M. Fouquet lorsqu’il passa par les rues, et voyant le soin que M. d’Artagnan prenait de le garder, ils lui disaient : « Ne craignez pas qu’il sorte ; car si nous l’avions en nos mains, nous le pendrions nous-mêmes. » La même haine parut à Tours, et il (d’Artagnan) fut obligé d’emmener M. Fouquet dès trois heures du matin pour éviter les injures du peuple. »