Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/94

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sans rien essayer de la part du régent, bien payée de la France et de l’Espagne, toujours occupée du monde, de ce qu’elle avoit été, de ce qu’elle n’étoit plus, mais sans bassesse, avec courage et grandeur. La perte qu’elle fit, en janvier 1720, du cardinal de La Trémoille, ne laissa pas, sans amitié de part ni d’autre, de lui faire un vide. Elle le survécut de trois ans, conserva toute sa santé, sa force, son esprit jusqu’à la mort, et fut emportée, à plus de quatre-vingts ans, par une fort courte maladie, à Rome, le 5 décembre 1722 ; Elle eut le plaisir de voir Mme de Maintenon oubliée et anéantie dans Saint-Cyr, et celui de lui survivre, et la joie de voir arriver, l’un après l’autre, à Rome, ses deux ennemis aussi profondément disgraciés qu’elle, dont l’un tomboit d’aussi haut, les cardinaux del Giudice et Albéroni, et de jouir de la parfaite inconsidération, pour ne pas dire mépris, où ils tombèrent tous deux. Cette mort qui, quelques années plus tôt, eût retenti par toute l’Europe, ne fit pas la plus légère sensation. La petite cour d’Angleterre la regretta, quelques amis particuliers dont je fus du nombre et ne m’en cachai point, quoique, à cause de M. le duc d’Orléans, demeuré sans commerce avec elle ; du reste, personne ne sembla s’être aperçu qu’elle fût disparue. Ce fut néanmoins une personne si extraordinaire dans tout le cours de sa longue vie, et qui a partout si grandement et si singulièrement figuré, quoique en diverses manières ; dont l’esprit, le courage, l’industrie et les ressources ont été si rares ; enfin le règne si absolu en Espagne et si à découvert, et le caractère si soutenu et si unique, que sa vie mériteroit d’être écrite, et tiendroit place entre les plus curieux morceaux de l’histoire des temps où elle a vécu.