Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/292

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uns aux autres, leur crédit. Mais en même temps leurs richesses, et même tout le bien de la plupart étant entre les mains des Anglois, les met dans une telle dépendance de l’Angleterre qu’ils se trouvent forcés d’en préférer les intérêts à ceux de leur république, et de la faire consentir, contre son propre avantage, à toutes les volontés des Anglois. C’est ce qui se voit à l’œil, et se sent dans toutes les conjonctures, tellement que jusqu’à ce jour que j’écris, la république ne s’est pas conduite autrement, et avec peu ou point d’espérance d’aucun changement là-dessus. Albéroni n’ignoroit pas sans doute cette position, et il est surprenant qu’il ait pu se flatter de se pouvoir servir des Hollandois pour chasser les Anglois des Indes espagnoles.

On sentit bientôt, malgré toute son adresse, son peu d’inclination pour la France, en particulier pour le régent, et pour son gouvernement. Je ne sais si ce prince eut part ou non aux lettres misérables que le maréchal d’Estrées et le duc de Noailles écrivirent à ce maître italien, l’un pour lui donner part de ses nouveaux emplois, l’autre qui l’avoit méprisé en Espagne du temps de M. de Vendôme, pour lui demander bassement son amitié. Ces recherches enflèrent Albéroni et ne le changèrent sur rien ; mais il continua la correspondance qu’Effiat entretenoit avec lui, qui pouvoit lui être utile à plus d’une chose, à ce qui a été expliqué de la perfide conduite d’Effiat. Albéroni, de plus en plus avancé dans la faveur et le gouvernement, se voulut défaire des principales têtes. Ne se sentant pas encore assez fort pour attaquer le cardinal del Giudice, il le brouilla avec Tabarada, évêque d’Osma, qui étoit gouverneur du conseil de Castille, et d’une insupportable fierté. Il le rendit odieux à la reine, qui entreprit sa perte. Le roi vouloit se contenter d’une forte réprimande ; mais la reine déclara que, s’il ne se retiroit, elle lui feroit donner des coups de bâton. Il s’enfuit au plus vite en son évêché, et donna la démission de sa place.