Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/473

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côté tous les avantages, et de l’autre tous les inconvénients, par objections et par réponses.

« L’idée de cette banque est de faire porter tous les revenus du roi à la banque ; de donner aux receveurs généraux et fermiers des billets de dix écus, cent écus et mille écus, poids et titres de ce jour, qui seront nommés billets de banque ; lesquels billets seront portés ensuite par lesdits receveurs et fermiers au trésor royal, qui leur expédiera dos quittances comptables. Tous ceux à qui il est dû par le roi ne recevront au trésor royal que des billets de banque, dont ils pourront aller sur-le-champ recevoir la valeur a la banque, sans que personne soit tenue ni de les garder, ni de les recevoir dans le commerce. Mais le sieur Lass prétend que l’utilité en sera telle que tout le monde sera charmé d’avoir des billets de banque plutôt que de l’argent, par la facilité qu’on aura à faire les payements en papier, et par l’assurance d’en recevoir le payement toutes les fois que l’on voudra. Il ajoute qu’il sera impossible qu’il puisse jamais y avoir plus de billets que d’argent, parce qu’on ne fera de billets qu’au prorata de l’argent, et que par ce moyen on évitera les frais de remise, le danger des voitures, la multiplicité des commis, etc.

« Son Altesse Royale a jugé à propos d’entendre sur ce sujet des négociants et banquiers qu’elle a fait entrer pour avoir leurs avis. Ces négociants étant entrés au nombre de treize avec le sieur Lass, ils se sont expliqués et ont proposé trois avis :

« Le premier, que l’établissement de la banque seroit utile dès à présent. — Fénelon, Tourton, Guygner et Pion.

« Le second, que cet établissement pouvoit être utile dans un autre temps que celui-ci, mais qu’il seroit nuisible dans la conjoncture présente. — Auisson.

« Le troisième, que cela devoit être entièrement rejeté. — Bernard, Heusch, Moras, Le Couteux et quatre autres.

« Ces négociants retirés, Son Altesse Royale a pris les voix.

« Le Pelletier (de La Houssaye) a été d’avis d’établir la banque en donnant quelque profit sur les billets pour les accréditer ; mais il a ajouté que la conjoncture n’étoit pas propre, et qu’il falloit attendre.

« Dodun [1] croit la banque bonne sans donner un profit aux billets, parce que cela chargeroit l’État ; mais qu’il faut attendre que la confiance dans le gouvernement soit rétablie.

« M. de Saint-Contest ne croit pas que la banque puisse jamais avoir de solidité dans le royaume, parce que l’autorité y règne toujours et que le besoin y est souvent ; ainsi il n’y auroit jamais de sûreté ni de solidité [2].

  1. Charles-Gaspard Dodun, ancien président aux enquêtes du parlement de Paris, devint plus tard contrôleur général des finances.
  2. Cette opinion est à peu près celle que Saint-Simon lui-même a exprimée en appréciant la banque de Law : « Tout bon que pût être cet établissement en soi, il ne pouvait l’être que dans une république ou dans une monarchie telle qu’est l’Angleterre, dont les finances se gouvernent absolument par ceux-là seuls qui les fournissent et qui n’en fournissent qu’autant et que comme il leur plaît ; mais dans un État léger, changeant, plus qu’absolu, tel qu’est la France, la solidité y manquait nécessairement, par conséquent la confiance. »