Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/127

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inquiété, de la part de l’Espagne sur la promotion des couronnes, la sienne à lui étant faite. Il alla plus loin, et ce plus loin fait frémir dans la réflexion de ce que peut un ecclésiastique premier ministre, et jusqu’à quel excès monstrueux la passion d’un chapeau le transporte : il offrit à ce prix une renonciation perpétuelle du roi d’Espagne au droit de nomination de couronne. En même temps il affectoit d’aimer et de louer Aubenton, parce qu’il le savoit bien avant dans l’estime et dans l’affection du pape. Ces sentiments toutefois dépendoient du besoin qu’il pouvoit avoir du confesseur, et de sa soumission, entière pour lui, nonobstant le crédit et la confiance que sa place lui donnoit auprès du roi d’Espagne. Le jésuite en fit bientôt l’expérience. Il reçut une lettre du cardinal Paulucci, qui le pressoit de faire en sorte qu’en attendant l’accommodement des deux cours, le roi d’Espagne eût la complaisance de laisser jouir le pape de la dépouille des évêques qui viendroient à mourir. C’étoit un des points de contestation entre les deux cours, et contre lequel le conseil d’Espagne se seroit fort élevé, surtout ainsi par provision. À ce trait, pour le dire en passant, on reconnoît bien le chancre rongeur de Rome sur les États qui s’en laissent subjuguer. Le tribunal de la nonciature d’une part ôte aux évêques tout le contentieux, et toute leur autorité sur leur clergé, et sur les dispenses des laïques ; et d’autre part celui de l’inquisition leur enlève tout ce qui regarde la doctrine et les mœurs, et les soumet eux-mêmes à sa juridiction, en sorte qu’il ne leur reste que les fonctions manuelles ; et quant à l’argent, quel droit a le pape sur la dépouille des évêques morts, et de frustrer leurs héritiers et leurs créanciers ! Ce texte engageroit à un long discours qui n’est pas de notre narration, mais qu’on ne peut s’empêcher de faire remarquer à propos de la folle prostitution de la France à l’égard de Rome, depuis la plaie que la Constitution Unigenitus, et les noires cabales qui l’ont enfantée et soutenue, y a portée dans le sein de l’Église et de l’État.