Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/201

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dire. Il en fut outré plus que pas un des deux autres, et au point que ce fut l’époque du refroidissement entre lui et l’abbé Dubois, qui bientôt après vola assez de ses ailes pour se passer du concours de Canillac, à qui la jalousie, jointe à ce premier refroidissement, en prit si forte qu’elle le conduisit à une brouillerie ouverte avec l’abbé Dubois, qui, à la fin, comme on le verra en son temps, lui rompit le cou et le fit chasser. C’est peut-être le seul bien qu’il ait fait en sa vie.

Le comte de La Marck fut nommé en ce temps-ci ambassadeur auprès du roi de Suède, et ce fut un très bon choix. C’est le même dont j’ai parlé plus d’une fois, et qui bien longtemps après a été ambassadeur en Espagne, et y a été fait grand d’Espagne et chevalier de la Toison d’or. Il étoit chevalier du Saint-Esprit en 1724.

Je me souviens d’avoir oublié chose qui mérite qu’on s’en souvienne pour la singularité du fait, et que je vais rétablir de peur qu’elle ne m’échappe encore. Une après-dînée, comme nous allions nous asseoir en place au conseil de régence, le maréchal de Villars me tira à part, et me demanda si je savois qu’on alloit détruire Marly. Je lui dis que non, et en effet je n’en avois pas ouï parler, et j’ajoutai que je ne pouvois le croire. « Vous ne l’approuvez donc pas, » reprit le maréchal. Je l’assurai que j’en étois fort éloigné. Il me réitéra que la destruction étoit résolue, qu’il le savoit à n’en pouvoir douter et que, si je la voulois empêcher, je n’avois pas un moment à perdre. Je répondis, [lors] qu’on se mettoit en place, que j’en parlerois incessamment à M. le duc d’Orléans. « Incessamment, reprit vivement le maréchal, parlez-lui-en dans cet instant même, car l’ordre en est peut-être déjà donné. »

Comme tout le conseil étoit déjà assis en place, j’allai par derrière à M. le duc d’Orléans, à qui je dis à l’oreille ce que je venois d’apprendre, sans nommer de qui ; que je le suppliois, au cas que cela fût, de suspendre jusqu’à ce que je