Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/202

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lui eusse parlé, et que j’irais le trouver au Palais-Royal après le conseil. Il balbutia un peu, comme fâché d’être découvert, et convint pourtant de m’attendre. Je le dis en sortant au maréchal de Villars, et je m’en allai au Palais-Royal, où M. le duc d’Orléans ne disconvint point de la chose. Je lui dis que je ne lui demanderois point qui lui avoit donné un si pernicieux conseil. Il voulut me le prouver bon par l’épargne de l’entretien, le produit de tant de conduites d’eau, de matériaux et d’autres choses qui se vendroient, et le désagrément de la situation d’un lieu où le roi n’étoit pas en âge d’aller de plusieurs années, et qui avoit tant d’autres belles maisons à entretenir avec une si grande dépense, dont aucune ne pouvoit être susceptible de destruction. Je lui répondis qu’on lui avoit présenté là des raisons de tuteur d’un particulier, dont la conduite né pouvoit ressembler en rien à celle d’un tuteur d’un roi de France ; qu’il falloit avouer la nécessité de la dépense de l’entretien de Marly, mais convenir en même temps que sur celles du roi c’étoit un point dans la carte, et s’ôter en même temps de la tête le profit des matériaux, qui se dissiperoit en dons et en pillage ; mais que ce n’étoit pas ces petits objets qu’il devoit regarder, mais considérer combien de millions avoient été jetés dans cet ancien cloaque pour en faire un palais de fées, unique en toute l’Europe en sa forme, unique encore par la beauté de ses fontaines, unique aussi par la réputation que celle du feu roi lui avoit donnée ; que c’étoit un des objets de la curiosité de tous les étrangers de toutes qualités qui venoient en France ; que cette destruction retentiroit par toute l’Europe avec un blâme que ces basses raisons de petite épargne ne changeroient pas ; que toute la France seroit indignée de se voir enlever un ornement si distingué ; qu’encore que lui ni moi pussions n’être pas délicats sur ce qui avoit été le goût, et l’ouvrage favori du feu roi, il devoit éviter de choquer sa mémoire, qui par un si long règne, tant de brillantes années, de si grands