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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/273

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de balance dans le gouvernement, n’étoit donc qu’un leurre et une tromperie manifeste, dont l’appel se trouveroit la véritable correctif ; qu’alors les tribunaux rendus à l’exercice de la justice à cet égard, l’autorité royale à embrasser tous ses sujets avec égalité, le gros du monde en liberté de voir, de parler, de s’instruire, et de discerner, les simples et les ignorants, éclairés par les appels des évêques, d’un nombre infini d’ecclésiastiques du second ordre, de religieux, de corps entiers séculiers et réguliers, enfin par celui des parlements, reviendroient de la crainte servile qui les avoit enchaînés ; et qu’alors il verroit avec surprise que le grand nombre seroit des appelants, et le très petit, et encore méprisé et honni comme celui des tyrans renversés, se trouveroit des constitutionnaires.

En cet endroit le régent m’interrompit, et avec une sorte d’angoisse : « Mais, monsieur, me dit-il, que voulez-vous que je croie, quand le duc de Noailles lui-même m’arrête sur les appels, et me maintient que j’y hasarde tout, parce que le très grand nombre est pour la constitution, et qu’il n’y a qu’une poignée du parti opposé ; et si vous ne nierez pas combien il y est intéressé pour son oncle ? — Monsieur, repris-je, cela est horrible, mais ne me surprend pas. Vous savez que je ne vous parle jamais du duc de Noailles depuis les premiers temps de ce qui s’est passé entre nous ; mais puisque vous me le mettez en jeu et en opposition si spécieuse, si faut-il aussi que je vous y réponde. M. de Noailles, monsieur, est un homme qui n’a ni religion ni honneur, et qui jusqu’à toute pudeur, l’a perdue, quand il croit y trouver le plus petit avantage. Du temps du feu roi, rappelé d’Espagne, brouillé avec lui, avec Mme de Maintenon, avec Mme la duchesse de Bourgogne, craint et mal voulu de tout le monde, en un mot perdu en Espagne et ici, il n’avoit d’appui ni d’existence que son oncle, et par lui, ce qui s’appeloit son parti, ainsi il y tenoit. Depuis qu’il vole de ses ailes, ce même oncle et son parti, ne lui servant plus à rien,