Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/280

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

particulier ; et lui envoyer une lettre pour le pape remplie des plus beaux termes d’attachement, de douleur, de vénération, mais imprimée vaguement d’une teinture de fermeté qui soutînt la lettre au cardinal de La Trémoille ; surtout n’oublier, pas de faire parler françois aux principaux jésuites d’ici à leur général à Rome, et aux supérieurs de Saint-Sulpice et de Saint-Lazare ; puis demeurer fermé à quelque proposition que ce pût être, et les plus spécieuses. Ouvrir les prisons, et rappeler et rétablir les exilés, et la liberté, mais parler ferme aux principaux, et donner au cardinal de Noailles et aux parlements des ordres sévères et y être inexorable, pour que la liberté, bien loin de se tourner en licence et en triomphe ; se contienne dans les plus étroites bornes de sagesse, de prudence, de modestie, de charité, de respect pour l’épiscopat et pour les évêques, de mesure à l’égard de la personne du nonce, de vénération pour celle du pape, de soumission pour le saint-siège, et de toutes les précautions nécessaires pour éviter toute occasion de donner prise à l’autre parti, et tout prétexte de crier au schisme ou le faire craindre avec la plus légère apparence.

Après ce discours, que M. le duc d’Orléans écouta fort attentivement et qu’il me parut goûter, je vins au point sensible. Je lui remis devant les yeux le défaut des renonciations, où on n’avoit voulu souffrir ni formes ni apparence de liberté ; et je lui répétai, ce que je lui avois dit souvent, qu’il ne pouvoit tirer aucun fruit de ces actes, si le malheur du cas en arrivoit, que de l’estime et de l’affection de la nation par la sagesse, la douceur, l’estime de son gouvernement ; que ce que je lui proposois en étoit une des voies la plus assurée en protégeant les lois, la raisonnable et juste liberté, et se rendant le conservateur de ce qui dans l’ecclésiastique et le civil étoit en la plus grande et solide réputation par la doctrine et la vertu, et s’amalgamant les parlements et les autres tribunaux ; tandis qu’en prenant l’autre parti c’étoit un chemin de continuelles violences aux consciences,