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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/29

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yeux, pour réfléchir à leurs malheurs, à ce qui les y avoit conduits, et à éviter une imitation si funeste. Il avoit peine dans les courts moments d’impatience à se contenir de médire quelque mot de ce qui en faisoit le sujet, mais à la manière d’un pot qui bout et qui répand, non comme un homme qui consulte. Jamais depuis plusieurs mois je ne lui en parlois le premier, suivant la résolution qu’on a vu que j’en avois prise, et quand il m’en lâchoit quelque mot, je glissois par des lieux communs, vagues et courts, et changeois subitement de propos. On a vu quelles en étoient mes raisons. Quand je le voyois venir d’assez loin là-dessus pour prendre mon tournant, je ne manquois pas de le faire par quelque disparate de discours qui rompit ce que je voyois qu’il m’alloit dire, et je n’étois pas fâché de le faire assez grossièrement pour qu’il s’aperçût que je ne voulois plus parler ni lui entendre parler du parlement, ni de rien qui pût avoir aucun trait à cette compagnie. J’en usai encore plus sèchement en cette occasion. Il m’avoit parlé de la procession comme en passant, et je m’étois tu pour n’entrer en aucun discours qui pût amener détail de rang et de cérémonie ; il le sentit et n’alla pas plus loin. Après il ne put se tenir de me dire qu’il n’irait point, et sans oser m’expliquer là rare prétention qui lors étoit devenue publique par le premier président et ses amis, il ajouta qu’il y avoit quelque difficulté avec le parlement, et qu’il aimoit mieux laisser tout cela là. Je me mis à sourire un peu malignement, et lui répandis que ce seroit autant d’ennui et de fatigue épargnés. Nous nous connoissions tous deux depuis bien des années. Il sentit mon sourire et l’indifférence de ma réponse ; il rougit, et me parla d’autre chose, à quoi je pris avidement. Je n’en fus pas moins bien avec lui, et j’ai bien vu depuis qu’il sentoit ses torts avec moi sur le parlement et l’injustice de ses défiances ; mais alors il n’étoit pas encore en liberté. Il céda donc au parlement en s’abstenant d’assister à la procession, après avoir déclaré