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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/293

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deux maisons. Le comte d’Évreux, qui en sentit l’importance pour un rang et un échange aussi peu solide que le leur, n’oublia rien pour y réussir. L’affaire fut même si avancée, qu’ils la crurent faite, et que des deux côtés elle fut donnée comme telle. Néanmoins elle se rompit par tout ce que le duc d’Albret ne cessa de prétendre, dont son frère le blâma au point que, pour ne pas irriter le crédit du duc de Noailles, il demeura toujours de ses amis. Le duc d’Elboeuf, qui n’avoit pas les mêmes raisons, mais qui fut toute sa vie fort avide, avoit envie de marier le prince Charles qu’il regardoit comme son fils, et qui, avec ses grands établissements en survivance, n’avoit point de bien. Il crut trouver dans ce mariage une alliance convenable et tous les avantages d’une affaire purement d’argent pour le prince Charles, et pour soi-même le moyen de puiser dans les finances.

Le duc de Noailles, piqué de la rupture du duc d’Albret, se trouva flatté de trouver sur-le-champ un prince véritable, au lieu du faux qui lui manquoit avec des établissements extérieurs encore plus éblouissants qui le firent passer pardessus l’inconvénient des biens, immenses chez les Bouillon, nuls dans le prince Charles. Ainsi le mariage également désiré fut bientôt arrêté, moyennant huit cent mille livres, et ce que l’on ne disoit pas, et la patte du duc d’Elboeuf largement graissée. Les deux familles obtinrent pour le prince Charles un million de brevet de retenue sur la charge de grand écuyer, publiquement volée à mon père, et qui ne leur avoit jamais rien coûté, comme on l’a vu au commencement de ces Mémoires. Jamais on n’avoit ouï parler d’un pareil brevet de retenue, qui assuroit à toujours la charge dans la famille ; parce que personne ne pouvoit être en état de le payer. Le cardinal de Noailles les maria dans sa chapelle, et donna un grand dîner à l’archevêché, et le soir il y eut une fête à l’hôtel de Noailles, où sur le minuit M. le duc d’Orléans alla donner la chemise au prince Charles, qui