Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/339

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succession à la couronne. Si jamais on voyoit des états généraux assemblés, ces messieurs de la requête auroient bien à craindre le châtiment du second ordre des trois états du royaume, et qu’il ne voulût plus reconnoître pour siens, des nobles qui, en tant qu’il a été en eux, l’ont avili et dégradé jusqu’à les jeter dans la poussière aux pieds de nos seigneurs membres du tiers état. Ni l’audace ni l’ineptie, quoique l’une et l’autre au plus haut comble, ne se présentèrent point à l’esprit ni au jugement de ces messieurs. Ils se laissèrent fasciner d’une démarche hardie, qui mettoit au jour une si belle prétention, sans s’apercevoir qu’ils étoient d’une part dépourvus de tout titre, et qu’ils se déshonoroient complètement de l’autre par ce recours au parlement.

Cette compagnie plus sage qu’eux, et qui savoit mieux mesurer ses démarches, eut plus d’envie de rire de celle-là que de s’en enorgueillir. Cette rare requête, ou plutôt unique depuis la monarchie, n’eut pas été plutôt présentée que, quelque abandonné que fût le premier président à M. et à Mme du Maine, sans qui cette folie ne s’étoit pas tentée dans l’espérance pour dernière ressource d’effrayer M. le duc d’Orléans par cet éclat ; et l’empêcher de passer outre au jugement, le premier président, dis-je, n’osa branler, et l’alla porter au régent accompagné des gens du roi et lui demander ses ordres.

Avant d’aller plus loin, la nécessité de constater la vérité des faits m’oblige ici à une digression nouvelle. Dangeau, dont je me réserve à parler ailleurs, écrivoit depuis plus de trente ans tous les soirs jusqu’aux plus fades nouvelles de la journée. Il les dictoit toutes sèches, plus encore qu’on ne les trouve dans la Gazette de France [1]. Il ne s’en cachoit

  1. On peut aujourd’hui apprécier le Journal de Dangeau dans l’édition que publient MM. Didot : Journal du marquis de Dangeau avec les additions de Saint-Simon, etc. (Paris 1854 et ann. suiv.) Les éditeurs ont mis en tête une Notice sur la vie de Dangeau, où ils s’efforcent de le défendre contre les attaques de Voltaire et de Saint-Simon.